Le Contrat Social - anno VI - n. 5 - set.-ott. 1962

S. SCHWARZ Staline, mais à la Lénine, c'est-à-dire ne pas leur appliquer des peines de droit commun, à plus forte raison des mesures de terreur ? On frémit d'y penser. Mais on frémit davantage en répondant affirmativement. Or Khrouchtchev, à chaque occasion, mentionne comme positif - il l'a dit dans son rapport sur le projet du nouveau programme au XXIIe Congrès - le fait que le Parti « ait écarté de son chemin les trotskistes, les opportunistes de droite, les déviationnistes nationalistes et autres capitulards». En effet, le Parti les a « écartés », mais à la Staline, non à la Lénine. De telles questions se posent fatalement, mais ne reçoivent pas de réponse et les dirigeants font mine de les ignorer. Il faudra pourtant s'en expliquer. 4. Un des moments les plus dramatiques du rapport de Khrouchtchev au xxe Congrès fut l'aveu relatif à la condamnation en masse des prétendus cc ennemis du peuple » à des peines rigoureuses, fréquemment à la peine capitale, suivant des listes soumises par le commissariat aux Affaires intérieures (N.K.V.D.) à la ratification de Staline et transmises ensuite - avec un verdict fixé d'avance - au Collège militaire du Tribunal suprême. Khrouchtchev révéla que pour 1937 et 1938 furent soumises à Staline et ratifiées par lui « 383 de ces listes portant des milliers de noms de responsables du Parti, des jeunesses communistes, de l'armée et des administrations économiques ». C'est là un des aspects les plus horribles de la « grande épuration» qui en est encore à attendre qu'on fasse la lumière. On pouvait penser que Khrouchtchev, au XXIIe Congrès, ainsi que ses proches collaborateurs, répondraient à cette attente. Mais ils le firent seulement dans la mesure où ces nouvelles révélations étayaient les accusations contre le « groupe antiparti » de Molotov et consorts ; pour le reste, tout demeure comme auparavant couvert par le secret. Serdiouk donna lecture d'un document effarant : une note de service de Iéjov adressée à Staline et qui mérite d'être reproduite intégralement : Camarade Staline, Je vous envoie aux fins de ratification quatre listes d'individus qui doivent comparaître devant le Collège militaire : I. Liste n° I (générale) ; 2. Liste n° 2 (ex-chefs militaires) ; 3. Liste n° 3 (ex-collaborateurs du N.K.V.D.); 4. Liste n° 4 (épouses d'ennemis du peuple). Je demande sanction pour que tous soient condamnés selon la première catégorie. lÉJOV. La note, qui a été conservée, porte l'annotation : « Approuvé » et les signatures de Staline et de Molotov. Serdiouk cite ce document pour accuser Molotov, mais de ce point de vue son importance est minime. La demande de léjov n'était pas même adressée à Molotov, mais uniBiblioteca Gino Bianco 283 quement à Staline et le fait qu'il y ait une seconde signature (celle de Molotov) est typique de la manière dont Staline associait ses collaborateurs intimes à ses actes les plus odieux. Or, pour faire la lumière sur la terreur, il eût fallu donner ces listes dont l'une comprend, pour être condamnées cc suivant la première catégorie » (c'est-àdire à la peine capitale), les cc épouses des ennemis du peuple» - et cela Serdiouk le passe sous silence. Chélépine a cité un fait analogue : « En novembre 1937, Staline, Molotov et Kaganovitch ont donné leur sanction au renvoi devant le Collège militaire d'un groupe important de camarades parmi lesquels se trouvaient des responsables éminents du Parti, de l'État et de l'armée (leurs signatures figurent encore sur ce document). La plupart furent fusillés. » On se demande ce que venait faire, après celle de Staline, la « sanction·» de Molotov et de Kaganovitch ... 5. La question la plus épineuse est peut-être celle, prétendument élucidée depuis longtemps, mais qui reste ouverte et fait l'objet d'une« enquête minutieuse », des circonstances qui ont entouré l'assassinat de Kirov, lequel marqua un tournant dans l'histoire de l'Union soviétique et fut le point de départ de la plus sinistre période de terreur. Au xxe Congrès, Khrouchtchev fut sur le point de soulever le voile qui cache encore ce qui s'est passé à Léningrad le 1er décembre 1934 : Il y a quelque raison de croire que le meurtrier de Kirov, Nicolaïev, a été aidé par l'un de ceux dont la mission était de protéger la personne de Kirov. Un. mois et demi avant le meurtre, Nicolaïev avait été arrêté en raison de son attitude suspecte, mais il avait été libéré et n'avait même pas été recherché. Le fait que le tchékiste chargé de la protection de Kirov, qui devait être interrogé le 2 décembre 1934, ait été tué dans un « accident » d'automobile où les autres occupants de la voiture n'ont pas été blessés, constitue une circonstance extraordinairement suspecte. Après l'assassinat de Kirov, de très légères peines ont été prononcées contre de hauts fonctionnaires du N.K.V.D. de Léningrad, mais ils ont été fusillés en 1937. On peut supposer qu'ils ont été fusillés afin de faire disparaître les pistes qui auraient conduit aux organisateurs de l'assassinat de Kirov. Il semblerait que tout soit clair. Mais non : « Les circonstances qui entourèrent le meurtre de Kirov conservent jusqu'à ce jour beaucoup d'aspects inexpliqués ou mystérieux et requièrent une enquête minutieuse. >> Cette « enquête >> a été commencée par Staline en personne le jour même de l'assassinat de Kirov, mais n'a pu être menée à terme ni pendant les dix-huit années et plus qui ont précédé la mort de Staline ni au cours des trois années qui se sont écoulées jusqu'au xxe Congrès ; officiellement, elle n'a pas fait beaucoup de progrès durant les six années ou presque qui séparent le XX0 du XXII° Congrès. « Bien des efforts seront encore nécessaires pour qu'on puisse savoir réellement

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