278 quand, parmi les juristes soviétiques, il n'y a non seulement pas de spécialistes des lois ghanéennes, mais peu (ou pas) de professeurs ayant une connaissance approfondie du droit anglosaxon, adopté au Ghana, ou du droit français, commun à nombre de pays ayant accédé récemment à l'indépendance ? Mais il ne faut pas exagérer l'importance de ces difficultés, si grandes soient-elles. L'Qniversité de l'Amitié est centrée sur la technologie et les sciences naturelles, et, dans ces disciplines, l'enseignement soviétique est bon. Ce n'est pas par hasard qu'un ingénieur a été nommé recteur. «En ouvrant l'Université de l'Amitié, nous ne désirons qu'une chose, qu'elle aide d'autres pays à former des spécialistes hautement qualifiés », a déclaré Khrouchtchev 2 , à l'initiative duquel cette institution doit sa fondation 3 • SI LE BUT du gouvernement soviétique se limitait uniquement à former des ingénieurs et des scientifiques, on pourrait bien appeler l'Université Lumumba une <( folie de Khrouchtchev ». Pour un objectif aussi classique, il n'y aurait guère de raison d'entreprendre une expérience risquée dans le domaine de l'enseignement, accompagnée de difficultés sans fin et d'énormes dépenses 4 • Il serait plus facile, moins dispendieux et plus efficace d'inscrire les étudiants étrangers dans les écoles supérieures soviétiques déjà existantes. Les difficultés énumérées par Roumiantsev seraient plus faciles à surmonter pour l'étudiant étranger dans ces établissements. Il est clair en effet que l'étranger qui vit et travaille parmi les Russes assimilera la langue beaucoup plus rapidement que celui qui ne fréquente que ses compatriotes ou d'autres étrangers connaissant mal la langue. L'étudiant retardataire luimême s'élèvera plus vite au niveau général dans un groupe homogène et relativement fort que s'il est en contact permanent avec des condisciples également en retard. D'autre part, si le but fondamental est de former des cadres techniques, il· n'était pas rationnel de dépenser plusieurs dizaines de millions de roubles pour fonder une université de plus à Moscou, ni même de faire venir les étudiants de si loin. L'opinion dominante, dans les milieux universitaires des pays économiquement arriérés, est que pareilles sommes seraient beaucoup mieux employées à ouvrir des universités et des écoles techniques nationales dans ces pays mêmes. L'un des principaux arguments soviétiques en faveur de l'Université de l'Amitié est qu'elle 2. Pravda, 18 nov. 1960. 3. Roumiantsev, loc. cit. 4. « On nous a remis un chèque en blanc. On nous a donné des dizaines de millions de roubles et on nous a dit : " Dépensez-les." Quand nous n'en aurons plus, on nous en donnera encore», a déclaré Roumiantsev à Priscilla Johnson, journaliste américaine (Harper's Magazine, déc. 1960, p.· 91).· . Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE «permet d'enseigner en tenant compte des besoins des pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine». Enumérer ces continents équivaut à formuler une pure abstraction. En réalité, l'extraction de l'étain n'est pas du tout la même en Malaisie et en Bolivie, par exemple, et exige dans chaque cas une formation spécialisée qui ne peut guère être reçue à Moscou. Bref, d'un point de vue purement technique, la fondation de l'Université de l'Amitié ne justifie pas les grandes ressources .matérielles et le personnel qualifié affectés à cette entreprise. Pourquoi, dès lors, Khrouchtchev fonda-t-il cette université ? L'explication la plus courante est qu'il était mû essentiellement par des considérations de propagande. Et, de fait, le geste était superbe et la propagande en fit grand bruit. Mais Khrouchtchev ne pouvait ignorer que l'effet serait passager et ne valait pas des dizaines de millions de roubles. Cela ressort d'ailleurs de la comparaison entre deux chiffres : la première année, 43.531 demandes d'inscription furent adressées de l'étranger 5 ; l'année dernière il n'y en eut que 6.000 environ, soit un septième 6 • En second lieu, le battage a inévitablement eu pour effet d'intensifier les efforts de l'Occident dans ce domaine, ce qui n'était nullement désirable du point de vue communiste. * ,,.. ,,.. IL FAUT sans doute chercher les vraies raisons de la création d'une université spéciale dans l'expérience faite antérieurement par !'U.R.S.S. avec des étudiants de pays économiquement arriérés. Pendant l'année scolaire 1959-60, avant la fondation de l'Université de l'Amitié, il y avait en U.R.S.S. 930 étudiants originaires de ces pays 7 • Bon nombre d'entre eux étaient arrivés avec des sentiments procommunistes, profonds mais plutôt vagues : il s'agissait davantage d'une réaction contre le «colonialisme» occidental et la discrimination raciale que d'un véritable engagement politique. Pour eux, l'Union soviétique était une utopie, exempte des inégalités sociales et raciales du monde non communiste. Ils en attendaient beaucoup, « non seulement de l'instruction, mais aussi la vérité de la vie », suivant l'expression d'un Nigérien. Des espoirs aussi exagérés sont monnaie courante dans les écrits d'anciens étudiants étrangers désenchantés 8 • 5. Roumiantsev, /oc. cit. 6. Komsomolskaia Pravda, 23 mai 1961. 7. Seymour M. Rosen : The Preparation and Education of Foreign Students in the US SR, US Dept. of Health, Education and We1fare, Office of Education, Information on Education around the World, juil. 1960, n° 44. . 8. Cf., par ex., cc An Open Letter to All African Governments », in Y ou.thand Freedom, vol. 3, n°8 5-6 ; Everest Mulekezi: « I Was a Student at Moscow State », in Reader's Digest, juil. 1961 ; interview de quatre étudiants brésiliens in Figaro, 31 janv. 1961; et Michel Ayih : « We Cannot Accept Force, Deceit, Subversion, or Terrorism », in The Student (Leiden), vol. 4, n° 11, déc. 60 .
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