132 été écrit à ce moment-1à en matière d'histoire ait été sans valeur. Pour des raisons politiques qui n'ont rien à voir avec l'affection qu'il portait aux historiens, mais concernent son désir de stimuler le patriotisme soviétique, Staline avait ressuscité l'étude de l'histoire nationale. Conformément à ses vœux, les hauts faits des héros qu'il admirait, tels Ivan le Terrible et Pierre le Grand, étaient présentés d'une manière exagérée et déformée. Mais des historiens de la compétence de Tarlé et de Grékov rentrèrent en grâce et produisirent, ainsi que leurs disciples, des œuvres durables qui transcendent les fins éphémères qu'ils étaient souvent chargés de poursuivre. Dans les domaines touchant au pouvoir de Staline, c'est-à-dire dans la plupart des cas, celui-ci était par excellenceson propre historien. Dans son Institut d'histoire, il n'y avait pas place pour les «rats de bibliothèque » qui auraient pu faire des découvertes mettant les siennes en question. La condition faite sous Staline à l'historien qui traitait des affaires du Parti a été décrite avec pittoresque dans Questions d'histoire (mars 1956, n° 3) : La tâche de nombreux chercheurs et enseignants des sciences sociales revenait à vulgariser les idées de J. V. Staline. Ce qui encourageait grandement la propagation du pédantisme et du dogmatisme, et l'abus des citations. Dans la science apparurent des médiocres dépourvus d'initiative, incapables ou peu disposés à penser par eux-mêmes, n'agissant que dans les limites des « principes approuvés » et s'efforçant de camoufler leur stérilité intellectuelle sous l'autorité de quelqu'un d'autre ... La valeur des matériaux d'archives en tant que sources historiques était mise en doute et la majorité de ces documents était inaccessible au chercheur. Les sources de l'histoire du Parti n'étaient pas étudiées. Mettre au jour de nouvelles sources et les soumettre à la critique était considéré comme inutile, voire blâmable. La grande majorité des mémoires n'étaient rien de plus que des compilations de citations et de faits en vrac se répétant l'un l'autre dans une large mesure. Le dégel qui survint après la mort de Staline ne pénétra que lentement le domaine de l'histoire. Habitués depuis des années à suivre instructions et directives, les historiens veillaient à ne pas s'aventurer trop loin. Certes, les revues historiques reflétaient le déboulonnage de Staline et réclamaient prudemment l'ouverture des archives, une publication plus large des documents et l'accès aux écrits de l'étranger. Mais le premier signe sérieux que des vents nouveaux s'étaient levés vint de la conférence des lecteurs convoqués par les rédacteurs de Questions d'-histoire, qui se tint juste avant le xxe, Congrès du Parti, en janvier 1956. A cette réunion, des manières de voir jusque--là sacrées furent soumises à ce qui fut tenu pour une attaque hardie. Des orateurs s'en prirent à la tendance à embellir la carrière des héros nationaux tradi-- tionnels de la Russie et à céler le fait que « le tsarisme était l'ennemi mortel du mouvement révolutionnaire russe et international ». La politique tsariste à l'égard des nationalités non russes était condamnée pour sa dureté et son caractère oppres-· Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL sif, et l'un des orateurs au moins - A. M.Pikman - prit la défense de Chamil, qui, en dépit des louanges décernées par Marx et Engels, avait été longtemps mis à l'index sous Staline. Les préten-- tions exagérées à la priorité russe dans tous les domaines des acquisitions humaines furent répudiées. On porta une appréciation plus respectueuse sur les réalisations de l'historiographie occidentale et on alla· jusqu'à attribuer quelque mérite à l'œuvre d'historiens soviétiques tels que Pokrovski auparavant totalement désavoué. Le numéro de Questionsd'histoire qui rendait compte de la confé- . rence (n° 2, 1956), mis sous presse avant l'ouverture du xxe Congrès, faisait une allusion encore plus directe à ce qui allait suivre. Noyée dans un compte rendu anonyme de quelques opuscules . consacrés aux congrès et aux conférencesdu Parti, on y trouvait la suggestion que les historie~s examinent les interventions faites aux 15e et 16e conférences du Parti par S. V. Kossior, P. P. Postychev, A. V. Kossarev, V. A. Tchoubar et autres dirigeants supprimés ou tombés en disgrâce dont les noms étaient frappés d'anathème depuis des , annees. Mais le grand choc se produisit au XXe Congrès. Il y eut d'abord le discours de Mikoïan, qui dénigra Staline, réhabilita certains dirigeants du Parti tels qu'Antonov-Ovsiéenko et Kossior, lesquels avaient été «faussement» accusés d'être des ennemis du peuple, et déclara carrément que «le travail d'érudition concernant l'histoire de notre Parti et de la société soviétique est sans doute le secteur le plus en retard de notre travail idéologique ». Mikoïan prescrivit aux historiens « de faire·une étude sérieuse et en profondeur des faits et événements de l'histoire de notre Parti pendant la période soviétique - y compris ceux dont traite le Précis », - de « fouiller à fond les archives et les documents historiques, sans se contenter de compulser les exemplaires invendus desjournaux», de décrire «sans enjolivuresnon seulement la façade, mais la vie de laPatrie soviétique dans toute sa complexité ». Pankratova, doyenne des historiens staliniens, membre du Comité centr~l, rédacteur en' chef de Questionsd'histoire (ses propres manuels étaient autant d'exemples de tout ce que Mikoïan condamnait), emboîta respectueusement le pas et reprocha à ses collègues d'embellir la vérité historique et de décrire la marche historique du Parti comme · une processiontriomphale exemptede difficultés.Citant Lénine, elle les invita à appuyer leurs écrits sur des « faits exacts et indiscutables » et à ne pas cacher les fautes commises par les organisations du Parti. Et comme pour illustrer les remarques de Pankratova, Khrouchtchev, dans son discours secret, ouvrit tou\e grande la boîte de Pandore des crimes et des erreurs du Staline de la dernière période. Les déclarations du XXe Congrès lancèrent les historiens sur une mer inexplorée où les hautsfonds et les _récifsperfides restaient à découvrir. Certains saluèrent avec enthousiasme le changement d'attitude du Parti envers l'historiographie
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