Le Contrat Social - anno VI - n. 3 - mag.-giu. 1962

CHRONIQ![E Volgograd Parmi les phéno1nènes tératologiques consécutifs au dernier congrès communiste de Moscou, la « démausoléisation » de Staline et la déba~tisation de Stalingrad ne sont pas des moins significatifs, encore que leur signification soit matière à exégèses. Certes, on ne peut que se féliciter de voir effacer du mausolée de Lénine et des cartes géographiques le nom odieux de Staline : c'est à croire décidément à une justice « immanente », bien que tardive, et bien que sans proportion possible avec les atrocités inexpiables, les horreurs indicibles du stalinisme. Il n'empêche que les staliniens actuellement au pouvoir en U.R.S.S. se couvrent de honte et de ridicule en « déstalinisant » de la sorte tout en perpéIL Y A aujourd'hui en U.R.S.S. une nouvelle ville, qui a nom Volgograd. A vrai dire, il ne s'agit pas réellement d'une ville nouvelle : sa fondation remonte à l'an 1589 ; jusqu'en 1925, elle s'appelait Tsaritsyne ; de 1925 à 1961, elle porta le nom de Stalingrad. Depuis novembre dernier, elle est devenue Volgograd, en vertu d'un décret du Soviet suprême. Or, à en croire le décret, le changement de nom répond « aux vœux et aux exigences» des habitants. Mais des sources non officielles - à savoir de nombreux voyageurs qui s'y sont rendus ces derniers mois - rapportent qu'il n'en est rien. Et en vérité, si la chose était vraie, aurait-il fallu modifier furtivement le nom en toute hâte, nuitamment, souvent avec des effets plutôt cocasses (STALINbiffé et GRAD maintenu en attendant) ? Les commentaires ironiques ou même sarcastiques faits ouvertement dans la rue par des gens émus aux larmes, ce que l'on sait de l'amertume exprimée dans les discussions et aux réunions du Parti, tout cela ne cadre pas avec les affirmations du décret. Au contraire, tout prouve, quelle qu'ait pu être la réaction de la population soviétique à la « déstalinisation » en général, qu'elle a ressenti la débaptisation de Stalingrad moins comme un coup porté au tyran disparu que comme un camouflet à sa propre fierté et à son passé trempé de sang. Alors pourquoi les dirigeants du Parti se sont-ils décidés à cette mesure? Parmi les raisons qui viennent à l'esprit, l'une peut être l'aversion particulière des communistes pour les demimesures : cc Il n'y a pas de forteresse imprenable pour un bolchévik », dit un vieux cliché, et quelle que soit la forteresse à un moment donné (« trotskisme», « mentalité petite-bourgeoise» ou terres vierges du Kazakhstan), elle doit être prise d'assaut et réduite à tout prix sans crises de conscience. La décision de déboulonner Staline une fois prise, il fallait aller jusqu'au bout, les conséquences dussent-elles être désagréables ou absurdes. On se demande cependant si, derrière cette décision, ne se cachent pas d'autres mobiles, plus personnels. Depuis son avènement au pouvoir, Khrouchtchev s'est mis en devoir de récrire Biblioteca Gino Bianco tuant l'essentiel du dogme hérité de leur maître. Dans la préface de son premier livre sur Lénine, en 1924, Trotski écrivait : « Peut-on dire, par exemple : Lénine fut arrêté à Léningrad ?... Il serait encore plus étrange de dire : Pierre Jer fonda Léningrad. >> Les rejetons idéologiques de Staline ne s'embarrassent pas de tels scrupules, ni ne reculent devant aucun anachronisme : à les écouter, Pierre Jer a fondé Léningrad et Hitler a essuyé une défaite à Volgograd. En attendant les données ou les indices complémentaires qui permettent de mieux comprendre les péripéties du congrès en question, la présente chronique peut contribuer à orienter les réflexions sur la déchéance posthume de Staline. l'histoire, tout comme son prédécesseur. Parmi les chapitres qui ont retenu son attention, la deuxième guerre mondiale, en particulier la bataille de Stalingrad, a pris une importance toute spéciale. Alors que, par exemple en 1947-48, les Encyclopédies soviétiques officielleslimitaient son rôle pendant les hostilités à son appartenance au Conseil militaire sur le front (il n'était pas membre de la plus haute instance militaire, le Comité gouvernemental de la Défense, composé presque exclusivement d'« antiparti » tels que Molotov, Béria et Malenkov), les récentes versions ne tarissent pas de dithyrambes sur le rôle de Khrouchtchev pendant la guerre. Un volume de la deuxième édition de la Grande Encyclopédie Soviétique publié en novembre 1957 ne mentionne aucun membre du Comité gouvernemental de la Défense et attribue au premier Secrétaire l'organisation du mouvement des partisans en Ukraine, ainsi qu'un «grand travail» et une « participation active à la défense de Stalingrad et à la préparation de la défaite des forces germano-fascistes à Stalingrad ». En 1959, Joukov étant désormais relégué au rang de «non-être», le rôle de celui qui avait été considéré jusque-là comme le défenseur de Stalingrad disparut totalement des tablettes pour faire place, à titre rétroactif, au premier secrétaire Nikita Khrouchtchev •. Le troisième volume de l' Histoire de la grande guerre patriotique de l'Union soviétique, 1941-1945, publié à la veille du XXIIe Congrès, fait un pas de plus : Khrouchtchev y devient l'un des principaux organisateurs de la victoire, et en particulier ce serait à lui qu'on devrait la déroute des forces allemandes à Stalingrad (ancien style). Si Khrouchtchev veut passer à l'histoire comme le libérateur de Stalingrad et du stalinisme, n'est-il pas logique, de son point de vue, non seulement de faire disparaître de la grande cité le nom abhorré, mais encore, par la suite, de le remplacer par son propre nom? Certes, l'intensité de la campagne menée présentement contre le culte de • Cf. Lazar Pistrak : Th, Grand Tacricia11, New York 1961, chap. XVI.

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