Le Contrat Social - anno VI - n. 3 - mag.-giu. 1962

186 Distance surtout sensible en fait de morale ou de mœurs. Ruyssen y consacre un chapitre. 11 évoque, sinon la variation des mœurs - dont il ne saurait dire si elles se sont en fait modifiées depuis un siècle (p. 72) - du moins « l'évolution rapide des coutumes et des idées en matière sexuelle» (ibid.). Mais, à l'inverse de l'opinion courante, il ne croit pas que ce soit dans ce domaine que les changements ont été les plus considérables. 11 juge beaucoup plus importante « une autre dégradation de l'esprit public français : le déclin, peut-être faut-il dire l'effondrement, du patriotisme » (p. 77). Venant d'un homme qui n'a jamais confondu patriotisme et chauvinisme, et dont l'activité publique a été essentiellement consacrée à la lutte pour la paix et au développement de l'esprit internationaliste, ce témoignage revêt une importance particulière. En philosophie, Ruyssen a vu défiler, non sans emprunter à plusieurs, des écoles multiples, puisque, à l'époque de sa jeunesse, « le positivisme jetait encore ses derniers feux». 11 a assisté, pris part, à la réintroduction de l'irrationnel et du mystère - mystère du moi et mystère du monde - dans la pensée de la fin du xixe siècle, si profondément desséchée par le scientisme triomphant. Restauration opérée par des hommes dont la rencontre fut pour lui décisive : Boutroux, Bergson (dans la classe de qui il fit son stage d'agrégation), William James, Blondel. Th. Ruyssen, enfin, parle longuement de la religion. Né catholique, détaché de toute croyance dès la fin de l'adolescence, il n'en a pas moins, comme Proudhon, pensé à Dieu toute sa vie, mais sans romantisme, sans inquiétude sentimentale (p. 97), avec une curiosité purement intellectuelle, sans d'ailleurs être parvenu à se faire un système d'idées qu'il puisse tenir pour assuré et définitif (p. 119). Dans sa recherche, il apporte beaucoup de respect, de sympathie même, pour les croyances et les croyants, ainsi qu'un sentiment très vif du drame moral que vivent les « leaders du monde chrétien » devant le déclin de l'influence religieuse, comme ce pasteur dont il rapporte l'aveu mélancolique : « La Bible n'intéresse plus » (p. 186). Toutefois, opinion à retenir lorsqu'il s'agit d'un homme qui a vu se dérouler les plus rudes assauts qu'ait soutenus l'Eglise, il n'annonce point la mort du christianisme. Il constate au contraire que la foi chrétienne, chez certaines élites tout au moins, demeure vivante et vivifiante: « Les capitulations successives que la pensée chrétienne a dû consentir devant les assauts du rationalisme moderne peuvent contribuer à la survivance, voire au développement du christianisme... Dixneuf siècles d'histoire témoignent du dynamisme . du mythe chrétien, encore que les apports bienfaisants y soient compromis par trop d'erreurs et d'iniquités. La chance du christianisme moderne n'est-elle pas de se trouver protégé de ces égarements? » (p. 187). Relevons les quelques détails que Théodore Rµyssen donne sur sa vie publique, comme par Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL accident et trop maigrement à notre gré. Il était en khâgne quand, par J. Pmdhommeaux qui arrivait de Nîmes, il prit connaissance des doctrines de l'école coopérative fondée par Charles Gide en cette ville. Quelque huit ans plus tard, revenant d'Allemagne, il donnait un premier article à la revue la Paix par le Droi,t, issue du même mouvement ni.mois. « Le doigt mis dans l'engrenage de la propagande pacifiste, j'y passai sinon tout entier, du moins assez pour bouleverser tout mon plan de vie» (p. 29). En 1895, il devenait président de l'Association de la Paix par le Droit. Il devait le demeurer plus d'un demisiècle, et c'est assurément comme tel qu'il est le plus connu. Les lecteurs de Proudhon, quant à eux, n'ignorent pas sa contribution à l'édition des Œuvres complètes du grand socialiste. CLAUDE HARMEL. Raison et sensibilité · L'Œuvre deLéonBlum, 1905-1914 ( avec un Index bibliographique des écrits littéraires de L. Blum de 1891 à 1914, par Louis Faucon). Paris 1962, Ed. Albin Michel, xv1-652 pp. CE VOLUME de l'Œuvre de Léon Blum (le quatrième dans l'ordre de parution, le second dans l'ordre chronologique) ne présentait pas beaucoup de difficultés pour l'éditeur. Pour l'essentiel, il est formé des deux livres les plus connus de Blum: Du mariage, qui est de 1907, et Stendha,l et le beylisme, qui parut en 1914. Léon• Blum avait recueilli un certain nombre de ses articles de critique dramatique (cent quarantedeux au total) en quatre volumes parus en 1906, 1909, 1910 et 1911 sous un même titre : Au théâtre. Trente ont été retenus, et leur choix n'appelle aucune réserve. Divers morceaux y sont joints, dont la plupart étaient oubliés, quelques-uns inédits. Bref, un ouvrage copieux et qui ne décevra pas. . Des textes qu'il nous révèle personnellement, le plus remarquable semble être l'étude parue en 1913 dans la Revue de Paris sur « La prochaine génération littéraire » (pp. 425-38). Remarquable, celle-ci l'est d'abord par l'ampleur et, si l'on ose dire, la perspicacité du goût littéraire. On prétend Léon Blum entiché de Porto-Riche, de Bataille, de Romain Coolus et de Lavedan (de Feydeau aussi qui, après tout, n'a pas si mal vieilli). Mais il savait parfaitement la place qui Tevenait ou reviendrait à Gide, à Claudel que, dès 1905, il définissait comme « un grand poète français » (p. 213). S'il ne nomme jamais Péguy, ni personne des Cahiers de la Quinzaine · (sauf Suarè_)s, pas même Romain Rolland, c'est qu'avec Péguy tous les liens étaient rompus depuis certaine affaire dans laquelle personne ne pouvait être très fier de soi, ni Péguy, ni Blum, ni

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