Anniversaires 1112 : Naissance de Jean-Jacques Rousseau - 1762: « Du contrat social», «Emile» L'HOMME DE OU LA NATURE LA DE NATURE L'HOMME par Michel Collinet L'ESSENCE de la philosophie politique de Rousseau, nous la trouvons dans ses deux Discours proposés aux suffrages de l'Académie de Dijon, auxquels on peut adjoindre son article de !'Encyclopédie, Sur l'Economie politique. Le Contrat social, paru huit ans après le second Discours, est une synthèse abstraite de ses premières œuvres, et il n'est compréhensible qu'à travers celles-ci. Enfin, il faut ajouter les multiples rectifications ou justifications, réponses à des contradicteurs, plaidoyers pro domo où souvent s'estompent les affirmations trop catégoriques et se polissent les angles trop aigus des· textes primitifs. Il n'est pas inutile à l'interprétation de Rousseau de rappeler qu'il eut l'idée du premier Discours sous un chêne du bois de Vincennes, alors qu'il allait visiter Diderot, prisonnier au château, et celle du second dans des promenades solitaires en forêt de Saint-Germain. Aucun des deux ne semble avoir été le résultat d'une recherche analytique sur l'évolution sociale du genre humain. Dans le premier, l'influence de l'éducation classique de Rousseau est prépondérante : ses auteurs sont Plutarque et les historiens latins. Dans le second, domine le mythe du bon sauvagemis à la mode depuis le xvie siècle tant par les jésuites que par leurs adversaires. Les thèmes s'insèrent sans trop de difficulté dans la perspective culturelle de la première moitié du XVIIIe siècle. On les retrouve, traités avant Rousseau ou repris par lui, jusqu'à la Révolution. Mais ces opinions, beaucoup moins paradoxales qu'on ne le prétendit dans la suite, ont ici une marque personnelle qui les distingue de toutes celles qui furent émises à la même époque. En chacune, Jean-Jacques s'est projeté lui-même: dans son illumination de Vincennes, il est le citoyen vertueux d'une république austère ; dans ses promenades de Saint-Germain, le libre sauvage des premiers temps. Biblioteca Gino Bianco Seul, il a rêvé d'être un Spartiate ou un Romain d'avant les guerres puniques, mais dans la vie, « c'est en vain que les actions nobles et belles sont quelques instants dans son courage, la paresse et la timidité bientôt le retiennent, l'anéantissent » 1 • Seul, loin d'une société où il se croyait persécuté, et dont l'enveloppement humain l'isolait de la nature, il s'est imaginé lui-même sous les traits mythiques de l'homme des origines, de l'homme bon et innocent, avant sa chute... dans la société, chute dont il a fait sa propre version du péché originel 2 • Bien que la littérature exotique, si abondante au XVIIIe siècle, ait apporté à sa vision des témoignages plus ou moins probants 3 , Rousseau lui a préféré sa méthode introspective 4, raillant même les philosophes qui, dans le dessein d'étudier l'homme, se contentaient de décrire leurs voisins ou leurs amis (Discours sur l'inégalité; note 10). L'homme déchiré DANS le Discours sur les sciences et les arts, il a opposé son idéal politique et moral à la corruption sociale de son temps; dans le Discours sur l'inégalité, l'idée qu'il s'était faite de sa nature véri1. Rousseau juge de Jean Jaques, deuxième dialogue 2. cc D'où le peintre et l'apologiste de la nature, aujourd'hui si défigurée et calomniée, peut-il avoir tiré son modèle, si ce n'est de son propre cœur? Il l'a décrit comme il se sentait lui-même » (ibid., troisième dialogue). 3. Cf. Gilbert Chinard : L'Amérique et le rêve exotique dans la littérature française au XV/Je et au XVIll 8 siëcle, 1913. Rousseau a mis en doute l'objectivité et l'intérêt des témoignages recueillis auprès des voyageurs et des missionnaires (Discours sur l'inégalité, note 10). 4. « Une vie retir~e et solitaire, un goOt vü de rêverie et de contemplation, l'habitude de rentrer en soi et d'y rechercher dans le calme des passions ces premiers traits disparus chez la multitude, pouvaient seuls les lui faire retrouver • (op. cit., troisi~me dialogue, soulign~ par nous).
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