J. PRYBYLA intéressante. En 1955, 30.000 présidents de kolkhoze furent remplacés par des hommes nommés par le Parti, en raison du rendement insuffisant de leurs fermes ; l'un des nouveaux présidents constata que la sienne avait été successivement gérée par une vingtaine de présidents différents, dont la plupart n'étaient pas restés à ce poste plus d'un an 7 • Il ne s'agit nullement là d'un phénomène exceptionnel dans l'agriculture soviétique : à la réunion du Comité central de janvier 1961 consacrée aux problèmes agricoles, Khrouchtchev s'est vivement plaint de l'état d'esprit responsable de cette valse des directeurs de kolkhoze. Leur façon de voir, déclara-t-il, semble dominée par l'idée que « l'année prochaine, je serai nommé dans une autre goubiernia » 8 • Autre facteur qui facilite la jonglerie avec les données : le manque de comptables compétents dans les kolkhozes. Enfin, une pratique courante consiste à déguiser le retard d'un kolkhoze en montant en épingle des exploits spectaculaires d'un ouvrier d'avant-garde 9 • La falsification des rapports dans le secteur agricole ne ·se limite nullement aux présidents de kolkhoze. Des infractions sont commises avec une fréquence au moins égale par les fonctionnaires des services d'approvisionnement qui escroquent les kolkhozes soit pour réaliser leur propre plan, soit pour s'enrichir. Une de leurs méthodes consiste à sous-estimer la teneur en matières grasses du lait livré (en insistant pour mesurer d'un simple coup d'œil) ou à surestimer le taux d'humidité du grain (on évite pour cela l'emploi des appareils de mesure). Khrouchtchev lui-même a stigmatisé cette pratique l'année dernière devant le Comité central : · Les usines fabriquent de bons instruments, mais on trouve toujours des raisons pour que les jauges soient détraquées. Pourquoi ? C'est clair comme le jour : un kolkhoze ou un sovkhoze livre du blé et l'agent de réception mord un grain et détermine de cette façon le taux d'humidité 10 • Il va sans dire que pareilles pratiques incitent les présidents de kolkhoze grugés à truquer encore davantage. Un moyen fort employé consiste à acheter du beurre clarifié dans un magasin d'Etat - de préférence dans une autre région ou République - et de faire figurer l'achat dans la production du kolkhoze. Il est aussi courant d'acheter du beurre dans une République et de le revendre, fondu, à une laiterie dans une 7. Lettre adressée à Khrouchtchev par le président du kolkhoze Lénine, village de Soulimovka, district de Bariéjevka, région de Kiev, in Vie agricole, 13 déc. 1960. 8. Pravda, 14 janv. 1951. 9. • Nous voyons souvent un homme obtenir des résultats remarqua\:l'es une année après l>autre, alors que le kolkhoze lui-m~me est en retard. Le nom de !,ouvrier d'avant-garde devient une sorte de bouclier derrière lequel les directeurs du kolkhoze cherchent refuge. » Discours de Khrouchtchev au Comité central, 17 janv. 1961, in PratJda, 22 janv. 1961. 10. Ibid. BibliotecaGino Bianco 113 autre 11 • Quand les produits que le président d'un kolkhoze désire acheter pour les inclure dans sa « production » manquent dans les magasins, il achète souvent aux kolkhoziens les produits de leurs lopins individuels. Le secteur privé devient ainsi une réserve utile dans laquelle on peut puiser lorsque les livraisons de viande, de lait, de légumes et autres denrées commencent à tomber au-dessous des normes 12 • L'EFFET de la falsification des rapports aux échelons inférieurs devient bien entendu composé à mesure que les chiffres montent vers les échelons supérieurs. Certaines Républiques et régions ont annoncé qu'elles avaient réalisé le plan de stockage de grain tout en demandant à l'Etat des semences et du grain pour leur bétail. Autrement dit, le plan était réalisé, mais aucune réserve n'avait été constituée pour l'avenir. En 1959 par exemple, la R.S.F.S.R. livra 1.643 millions de pouds de grain, mais en reprit 361 millions, soit 22 % 13 • Donc, en admettant que les chiffres n'aient pas été gonflés, le plan n'avait été réalisé qu'à 78 °/4, sans tenir compte des rapports mensongers à l'échelon du kolkhoze. Dans le secteur industriel, les choses ne vont guère mieux. La falsification des chiffres et les pratiques illégales à l'échelon de l'entreprise ou du trust semblent très courantes malgré les nombreux freins mis par le système de comptabilité industrie11e. En voici deux exemples. Les trusts de récupération des matières premières opèrent normalement suivant un plan de collecte de ferraille. En 1957, l'administration principale de récupération de la ferraille dans une certaine région annonça qu'elle avait réalisé le plan. Or, l'année suivante, on découvrit que ses chiffres comprenaient 1 .800 tonnes de métal prélevées en fait par des particuliers sur le rebut de l'usine métallurgique Dzerjinski et vendues 12.0000 roubles à ladite administration. Celle-ci les avait alors revendues à l'usine en question 14 • Le deuxième exemple est encore plus instructif. Le district de Tsaritchanka n'avait pas réuni la quantité de ferraiIle fixée par le plan. Les fonctionnaires de la coopérative du district se mirent en rapport avec un «arrangeur» qui possédait des reçus pour de la ferraille vendue à des entreprises d'Etat et qui avait été volée aux chemins 11. Cf. discours de Khrouchtchev à Rostov-sur-le-Don, in Pravda, 5 fév. 1961 ; discours d'I. R. Razzakov, premier secrétaire du C. C. du P.C. kirghize, nu Comité central, in Pravda, 14 janv. 1961. 12. • Des troupeaux privés sur les pâturages collectifs », rapport sur les fraudes dans le district de Rhilala Kosa, région de Gouriev, in Komsomolskafa Pravda, 22 janv. 1961. 13. Discours de Khrouchtchev au C.C., Pravda, 22 janv. 1961. 14. lzv11tia, 24 août 1958.
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