Le Contrat Social - anno VI - n. 2 - mar.-apr. 1962

110 à la « psychologie du rationnement » une forte emprise sur les citoyens soviétiques. Le narod sait pertinemment qu'il n'y aJ pas assez pour tout le monde et chacun est prêt à arrondir sa part, s'il le faut, aux dépens de la société tout entière. Citons quelques exemples. Un chauffeur de taxi, montrant du doigt un énorme bâtiment dans un quartier neuf de Moscou, nous confia : «11 n'y a pas une seule famille là-dedans qui ait le droit d'y habiter. Mais moi aussi j'ai un ami à la commission du logement? et il espère bien arranger les choses pour moi sous peu. » Un professeur de l'université de Moscou nous avoua qu'il parle toujours anglais dans les mag~sins et les restaurants, afin d' «être mieux servi». Chez un disquaire de Léningrad, un inconnu lia conversation avec nous et nous pria de lui acheter trois disques : «Vous, ils vous serviront, même s'ils doivent aller à la réserve. Quant à nous, nous devons nous contenter de ce qu'il y a sur le comptoir.» (Cet homme, qui refusa de nous révéler sa profession, était d'avis de transférer le réseau commercial à l'entreprise privée. «Un peu de saine concurrence, dit-il, ferait vite affluer la marchandise dans les magasins.») Un ingénieur de Léningrad occupait un appartement moderne de trois pièces. Sa femme l'avait quitté, emmenant leurs trois enfants. Il s'était bien gardé d'en faire la déclaration aux autorités et avait sous-loué illégalement deux des pièces à soixante roubles par mois chacune. KHROUCHTCHEV qualifierait ces attitudes - bien souvent remarquées des étrangers dans des circonstances similaires - de «dégénérescence petite-bourgeoise», de «vestiges du capitalisme » n'infectant que des individus isolés. Selon lui, le concept du «mien» Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE est le principe fondamental unique de la société bourgeoise ; les communistes, à l'opposé, « rejettent l'éthique (...) où la prospérité de quelques-uns n'est possible qu'au prix de la misère des autres, où la psychologie corruptive de l'égoïsme et l'appât du gain sont systématiquement cultivés ». Alors que l'intérêt personnel était franchement reconnu dans des conversations à bâtons rompus, il nous fut impossible de discuter du problème avec les représentants officiels du régime. Leur· refus obstiné d'admettre des faits patents empêchait toute conversation raisonnable. Un ami nous a donné un exemple intéressant de cette difficulté. Lors d'une réception diplomatique à Moscou, il conta à un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères qu'il avait été abordé par un trafiquant, désireux de lui acheter la chemise qu'il avait sur le dos. Notre ami ajouta que c'était là un problème qui devait concerner les autorités. Son interlocuteur réagit aussitôt : ~ « Vous faites erreur. 11n'y a pas de marché noir. Nous avons arrêté tous les trafiquants de Moscou il y a quinze jours. » L'édifice de la société communiste ne peut ainsi frapper le visiteur que par sa façade. Sous . le vernis d'une amélioration matérielle très lente, apparaît une nation qui n'est guère contente de son sort. Le Parti, loin d'incarner la volonté véritable du peuple soviétique, s'efforce d'en manipuler les aspirations à ses propres fins. La cassure entre le communisme et ses sujets est illustrée par une anecdote que l'on raconte à Moscou et qui nous a été rapportée par un étudiant. Un haut fonctionnaire du Parti demande à un évêque du cru des nouvelles de ses églises. « Il n'y a pas à se plaindre, répond ce dernier, elles sont toujours bondées. » Le fonctionnaire s'étonne: «C'est à n'y rien comprendre. A mes réunions, il n'y a jamaispersonne. »Alors l'évêque : «C'est simple. 11 vous suffirait de les rendre indépendantes de l'Etat et du Parti. » JusTAN. (Traduit de l'anglais) ,

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