Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

Débats et recherches UN EXEMPLE D'ENGAGEMENT Martin Heidegger et le • naz1stne par Aimé Patri ON CHUCHOTAIT en France depuis la Libération que le célèbre professeur Martin Heidegger, accrédité par J.-P. Sartre, avait été nazi. Crever cet abcès en publiant en traduction française les pièces d'un procès généralement intenté en sourdine, c'était donc, en 1961, faire œuvre un peu tardive, mais pie. Il s'agit des discours et proclamations du philosophe devenu recteur de l'Université de Fribourgen-Brisgau, peu après l'accession au pouvoir du dictateur de funeste mémoire, de novembre 1933 à janvier 1934. Le lecteur de cette traduction, présentée dans le numéro 3 de la revue Médiations sous la signature de M. J.-P. Faye, et suivie d'un commentaire du même, ne peut cependant - si faible soit sa teinture de germanisme - manquer d'être saisi par une étrangeté : l'adjectif volkisch, qu'un scrupule peut-être a fait signaler en chaque occasion entre parenthèses, a été rendu systématiquement en français par« raciste », et volkich, qui lui est apparenté, par cc racial ». Considérant la formation à partir de das Volk, l'écolier consciencieux s'étonne : traduirait-on Volkswagen par «voiture de la race» ? Mais quel jeune Français au cœur bien placé, lisant « raciste », dans sa langue, n'évoquerait aussitôt les horreurs des camps d'extermination dont on l'a entretenu au moins pendant un cours d'histoire contemporaine ? Se fiant à sa paresse naturelle, on sup~ose sans doute qu'il ne sera pas pressé de vérifier. Dans l'hypothèse où il manquerait à cette paresse, suivons le syllogisme qu'intimement on lui sussure pour la justification de l'étrange expertise : pendant trois mois au moins, le philosophe Heidegger a donné publiquement des gages de fidélité au régime national-socialiste nouvellement établi ; or tout ce qui est national-socialiste est Biblioteca Gino Bianco raciste ; donc Heidegger · a donné des gages de fidélité au racisme. Dans le contexte historique, le lemme moral s'ensuit : ces discours et proclamations de M. le Recteur, bagatelles pour un massacre, n'est-ce pas ? Puisque nous avons évoqué un expert, le démon de l'analogie nous conduit-il au procès d'Eichmann ou à celui de Marie Besnard ? Un avocat de la défense observe que M. l'expert Faye, dans une note de son rapport, assez malaisée à dénicher d'ailleurs, cite un de ses confrères. Il y confesse que M. Eric Weil, mentionnant l'un des textes incriminés, a rendu volkisch par « national». Tout se passe donc comme si l'expert Faye, imposant cc raciste », confondant son rôle avec celui du procureur, avait tenté d'arracher une condamnation capitale par le choix d'un terme destiné à émouvoir. S'agit-il d'une traduction ou d'un commentaire passionnel ? Aux jurés d'apprécier : on a voulu surprendre leur bonne foi en spéculant sur leur ignorance. Le président, qui voudrait éviter les gros mots, remarque que dans l'hypothèse où il s'agirait d'un commentaire plutôt que d'une traduction, c'est au commentaire proprement dit, présenté par M. Faye à la suite de sa « traduction », qu'il conviendrait de recourir pour élucider le point litigieux. Sans doute M. Faye y a-t-il développé au long le syllogisme cc pathétique » suggéré plus haut... On a la surprise de constater qu'il n'en est rien et que c'est même tout le contraire. Le traducteur, devenu commentateur, reconnaît en propres termes que « tous les témoins s'accordent à dire que l'on ne peut parler en son cas [celui de Heidegger] d'adhésion à l'antisémitisme hitlérien : sa fidélité à Husserl en témoigne >) (loc. cit., p. I 54). Dans le contexte politique hitlérien, peut-il y avoir racisme sans antisémitisme ? L'expert s'est

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