P. BARTON campagne d'industrialisation qui débuta avec le premier plan quinquennal. On connaît l'impétueux essor de l'industrie russe depuis la fin du XIXe siècle. Malheureusement la ques~~n de savoir quel aurait pu être, dans des condit1ons normales, son développement ~térieur n'a pas été étudiée à fond; des project1ons comme celles d'Edmond Théry (La Transformation économique de la Russie, Paris 1914, pp. XVIII-XIX) et qui prolongent de façon rectiligne l'évolution observée entre 1900 et 1912, fort instructives en elles-mêmes, ne sauraient suppléer à l'analyse proprement dite. Quoi qu'il en ~o~t,en ?927-28 la population était de 8,3 % super1eure a celle de 1913 et le revenu national ne s'était accru que de 7,1 % pendant la même période (Iasny, p. 43). A la date du 1er janvier 1928, la population urbaine ne dépassait que de 6,5 % ses effectifs du 1er janvier 1914 et demeurait de 5,4 % inférieure à ceux du 1er janvier 1917 ( S. N. Prokopovitch : Histoire économique de l' U. R. S. S., pp. 38 et 50 ). En 1927-28, l'industrie produisait 20,2 % de plus qu'en 1913, selon les données officielles calculées en prix constants d'avant guerre ; le calcul opéré en « unités internationales » par C. Clark montre que, comparativement à la dernière année de l'avant-guerre, la production industrielle fut de 2, 7 % inférieure en 1927 et de 7,6 supérieure en 1928 (The Conditions of Economie Progress, 2e éd., Londres 1951, p. I 86). Il est certain, pour une foule de raisons, que la remontée ne put s'effectuer jusque-là que par intermittence et qu'elle n'avait pas, de loin, épuisé ses possibilités au moment où fut lancé le premier plan quinquennal. . Examinons par exemple la politique poursuivie au cours des années 20 à l'égard des entreprises privées. Ayant décidé, au moment de la Nep, que celles-ci étaient dans une certaine mesure nécessaires au relèvement de l'économie, le pouvoir ne s'en appliquait pas moins à leur faire subir brimades et persécutions sans nombre. Qu'elles pussent, malgré tout, concurrencer avec succès les entreprises d'Etat, cela montrait, comme le fait remarquer Leonard E. Hubbard (Soviet Labour and Industry, p. 39), combien ces dernières manquaient d'efficacité. Ce qui n'incitait qu'à malmener davantage les entreprises privées, lesquelles employaient en 1925-26 près de 2 millions de salariés, soit quelque 20 % de la classe ouvrière (ibid., p. 38). Cette politique équivalait donc à saboter systématiquement un important secteur de l'industrie et du commerce. Les formes, économiquement absurdes, imposées par l'Etat à l'administration industrielle, contribuaient de leur côté à freiner le mécanisme de la remontée. C'est vers la fin des années 20 seulement qu'on commençagraduellement à accorder un minimum d'autonomie aux entreprises. Jusqu'en 1927, leurs directeurs n'avaient ni le droit d'effectuer achats ou ventes, ni celui de signer des traites, de se procurer ou de consentir des crédits, ni celui d'embaucher et de licencier du personnel, ni Biblioteca Gino Bianco 35 celui de décider des procédés de fabrication. Fin 1929, fut reconnue pour la première fois la nécessité de soumettre chaque entreprise industrielle au principe du bilan commercial ( khozrastchot) (A. Arakelian : Industrial Management in the U.S.S.R., Washington 1950, pp. 67-68). Jusqu'en 1934, à chaque échelon de l'administration industrielle, les bureaux fonctionnels (producLÏon,planning, travail, approvisionnement, etc.) étaient directement commandés par les bureaux correspondants de l'échelon supérieur. Ils commandaient à leur tour directement à ceux de l'échelon inférieur. De cette façon, personne, directeur d'entreprise, chef d'atelier ou contremaître, ne connaissait à fond le processus de production dans son ensemble, et les responsabilités étaient dispersées à travers une bureaucratie complexe et coûteuse (ibid., pp. 75 et 84; G. Bienstock, S.M. Schwarz et A. Yugov: Management in Russian Industry and Agriculture, Londres 1944). Pareilles méthodes d'organisation - et l'on pourrait en citer bien d'autres de même espèce - traduisaient, au mépris des considérations économiques les plus élémentaires, le besoin politique de tout centraliser et de surveiller tout le monde, aussi bien que l'ambition idéologique de façonner la communauté et la vie sociale tout entière selon le modèle de l'usine rationalisée. Le résultat fut une bureaucratisation qui rétrécissait le processus de production au moyen de règlements rigides et abstraits, souvent contraires au bon sens, et qui faisait grossir en même temps les prix de revient. Du fait des coûts exorbitants de l'industrie et de la construction, l'écart entre les prix des articles industriels et ceux des produits agricoles - les fameux «ciseaux» - ne cessait d'augmenter. Les produits des villes étant pratiquement inabordables pour les paysans, ceux-ci se trouvèrent enfermés dans une économie plus ou moins autarcique, très préjudiciable à la croissance de la production agricole au-delà de certaines limites (Iasny, pp. 43-46; pour une analyse détaillée, cf. du même auteur : The Socialized Agriculture of the U.S.S.R., Stanford 1949, pp. 205-31). Ces quelques exemples suffisent, semble-t-il, à déterminer le caractère des facteurs qui concouraient à freiner la remontée économique avant le déclenchement de la campagne d'industrialisation. Organiquement liés à la nature même du régime établi, ils résistèrent remarquablement à toutes réformes visant à les éliminer. Exemple caractéristique : pour offrir une plus grande marge de manœuvre aux chefs d'entreprise, il fut décidé, en décembre 1929, de liquider les administrations centrales, organismes essentiellement bureaucratiques) dont dépendaient les différentes branches d'industrie, et de les remplacer ~ar des « combinats >} de nature surtout économique, qui opéreraient sur la base du rendement commercial. Il ne fallut pas trois ans pour que le nouveau système se bureaucratisât
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==