Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

344 qu'elle peut donner», de l'autre - par le rêve d'un bonheur petit-bourgeois avec rideaux de tulle aux fenêtres et un mari ou un beau-père riches. Chez les diplômés de l'enseignement supérieur ou technique, cette mentalité s'exprime par la recherche d'une bonne place tranquille. Enfin, le comportement vulgaire et brutal dans les relations entre hommes et femmes, cause de nombreux divorces, et la conduite indécente des jeunes garçons et des filles dans leurs rapports mutuels sont mentionnés également ex aequo deux fois. La plaie traditionnelle du monde du travail russe d'avant la révolution - emploi constant d'un langage ordurier - n'est signalée qu'une fois. On trouvera ci-après quelques passages significatifs de ces réponses (Kom. Prav., 26 janv. 1961). Un mécanicien de garage d' Almétievsk (République autonome tatare), écrit : J'ai fréquemment vu les membres du I<omsomol manifester leur indifférence au cours des réunions, éviter toute participation à la discussion, éluder toute affectation à un travail social. Il se peut que dans les grandes villes les choses se passent autrement, mais chez nous c'est ainsi. Une étudiante de Penza, 21 ans, précise: J'ai fréquemment observé des jeunes qui vivent sans aucun contact avec les choses qui passionnent notre pays tout entier. Leur microcosme est clôturé par des rideaux de tulle et le rêve d'un paisible bonheur familial. Les jeunes filles veulent trouver un mari riche et beau ; s'il est laid, il doit obligatoirement être très riche et acheter tout ce que la femme peut désirer. Certains jeunes gens rêvent aussi d'une femme irrésistiblement belle. Quant à ceux qui veulent tout prendre de la vie sans rien donner en retour, ils ne sont qu'une moisissure. Ils appartiennent à l'espèce de ceux qui déshonorent le titre sacré de citoyen soviétique. Ils jouent au « désenchantement», considèrent avec un certain dédain condescendant les exploits de nos jeunes et se moquent de le~ enthousiasme. Leur unique idéal est leur propre « mot ». Un charpentier d'Ourioupinsk, région de Stalingrad, décrit les beatniks locaux : Je connais plusieurs jeunes de ma ville qui sont ·« satisfaits » de vivre aux crochets de leurs parents, sans travailler ou étudier nulle part. Ils s'habillent d'une façon ridicule, portent les cheveux longs, les favoris et la barbe, comme s'ils habitaient quelque île déserte. Ils se terrent dans la journée, comme des taupes, mais le soir on les rencontre dans les cinémas et théâtres, ainsi qu'aux soirées de jeunes dans les clubs. Ils s'y tiennent généralement entre eux et on ne parvient pas à les mêler aux autres. Une conductrice d'autobus de Léningrad, âgée de 29 ans et qui avait pratiqué divers métiers depuis l'âge de 12 ans, exhale ainsi son amertume : A mon avis, le désir de se singulariser, d'avoir des dehors meilleurs que les autres, est un trait négatif Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE de notre jeunesse. Il se manifeste par la volonté de briller par son accoutrement, de fréquenter les restaurants, ainsi que par une affectation exagérée de politesse et d'élégance. On s'efforce de se rendre attrayant en ayant recours aux cosmétiques et aux colifichets. On relègue à l'arrière-plan la simplicité et la modestie. Les jeunes ne savent pas comment vivre, n'apprécient pas la jeunesse, ignorent comment tuer le temps. Ils fréquentent surtout les sauteries et les soirées dansantes, .mais leur façon de danser est dégoûtante... Que ce soit dans les soirées récréatives ou les excursions culturelles organisées, il n'y a plus aucune gaieté. Certains jeunes ont soif d'un gain facile. Ils comptent toujours sur l'aide de leurs parents, même s'ils ont dépassé vingt-cinq ans et travaillent déjà depuis longtemps. Ils arrangent avec succès leur vie personnelle, avec un beau-père riche dans la coulisse ... Dans les conditions d'existence que notre gouvernement a créées pour les jeunes, ils peuvent avoir une vie belle ... On nous a tout donné : stades, parcs, facilités pour acquérir une culture et nous instruire, allocations et avantages divers. Mais certains se lassent vite de tout cela et les bons sujets en contact avec eux tournen1 parfois mal, eux aussi. Un militaire du contingent, diplômé d'une école technique secondaire, apporte quelques précisions sur le même thème : Parfois, nos jeunes ne songent point aux belles actions inoubliables qu'ils pourraient accomplir les uns pour les autres s'ils pouvaient se débarrasser de leur mesquine mentalité égotiste de philistins ; mais ils sont noyés dans un tourbillon de vanité et d'égoïsme. Certains, soucieux de ne pas être en reste avec les dandies occidentaux, se rendent souvent laids, hideux. Les bluejeans, les cravates tapageuses et les plaisanteries sordides leur masquent la vraie beauté des choses et des gens. Un milicien de Moscou, âgé de 27 ans, qui termine ses études secondaires par correspondance, fait part de son amère expérience : Il est exaspérant et honteux de voir les jeunes se battre entre eux ou s'acharner sauvagement à plusieurs sur une seule victime. Quoi de plus odieux, stupide et répugnant que les combats de jeunes d'une rue contre ceux d'une autre rue, cet héritage de la vieille Russie 7 ••• Chacun de ces aveux, signés de leur auteur, est tout naturellement suivi de phrases fort rassurantes quant à la santé ~raie de l'immense majorité de la jeunesse soviétique. Mais toutes ces déclarations d'un optimisme de commande s'effacent devant la lettre anonyme d'une ouvrièreétudiante de Moscou qui jette une lumière autrement convaincante sur la réalité. Cette jeune fille proclame crûment que sa génération ne lui 7. Les combats à main nue entre habitants de deux rues ou de deux corporations de métier étaient une des distractions favorites de la population de Moscou depuis le xve siècle. Officiellement réglementés, ils se déroulaient devant les autorités locales et le tsar y assistait parfois lui-même. Prohibés au XIXe siècle, mais souvent tolérés par la police, ils persistèrent parmi les ouvriers et artisans de Moscou jusqu'au début de ce siècle. La renaissance, dans la capitale soviétique, de cette vieille tradition populaire, n'est pas sans rappeler la guerre des gangs de « blousons noirs ».

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