K. PAPAIOANNOU tant et indissoluble avec l'univers tout entier. « Tout comme la plante et l'animal», l'homme a be~oin d'o~jet~ « matériels, sensibles », et ces obJets sont indispensables à la « manifestation et à la confirmation de ses forces essentielles ». Plus vast~ est le ch~p des objets sollicités par ses besoins, plus loin ses racines doivent pénétrer dans les profondeurs de la nature et plus l'homme p~rticipe à la perfection de la nature. Car, au sein .,de cette_ na~e que ~arx conçoit d'une maruere « solidariste » et bien mystique tous les êtres ont «besoin» les uns des autre~ pour affirmer et confirmer leurs forces « essentielles » Ainsi, non seulement « le soleil est l'objet de 1~ plante, un objet qui lui est indispensable, qui en affu:me la v~e », mais le soleil, en retour, semble avoir « besoin :> de la plante. « La plante, ajoute Marx, est l'obJet du soleil, comme extériorisation (Ausserung) de la force vivifiante du soleil de la force essentielle objective du soleil ». Voilà ce que la N aturschwiirmerei feuerbachienne lui avait appris à voir dans la nature ... L' «autocritique» de Marx ON NE TROUVE guère de trace de ce verbiage da1_1sles écrits postérieurs à 1844. Les seuls qui fussent demeurés fidèles au naturalisme feuerbachien étaient les « vrais socialistes » sur lesquels Engels exerce son ironie dans L'ldéologie allemande. Ces derniers feuerbachiens célébraient, eux aussi, la nature comme harmonie et voyaient partout des êtres « qui ne connaissent et ne récl~ment pas d'autre bonheur que celui de ~anifester leur vie et d'en jouir» 20 • En réalité, dit Engels, ils prêtaient à la nature « les idées que le vrai socialiste souhaite voir réaliser dans la société humaine » 21 • En ce sens, Marx a été le premier de ces « vrais socialistes » : dans leurs « naïv~s_mystifi~ationsphilosophiques» 22 ceux-ci ne faisaient qu employer les mêmes mythes que Ma~ en 1844, et jusqu'à ses propres termes. Aussi bien, dans la longue polémique contre cette plate mythologie de la nature, ce sont leurs propres illusions de jeunesse que Marx et Engels couvraient de leurs sarcasmes. Et Engels de conclure : Avec beaucoup plus de droit, Hobbes pouvait prouver par la nature sa guerre de tous contre tous, et Hegel pouvait voir dans la nature la division, la période des troubles de l'Idée et même appeler l'animal l'angoisse concrète de Dieu 23 • C'est pourtant sur ces mêmes platitudes que Marx. avait fondé sa critique de l'idéalisme hégélien et c'est dans ces « naïves mystifications 20. Cité in DI, p. 503 (IX, 1 s 1 ). 21. DI, p. 507 (IX, 158). 22. Ibid., p. 504 (IX, 1 53). 23. Ibid. Biblioteca Gino Bianco 337 philosophiques » qu'il est allé puiser la proposition spéculative qui sert de fondement à sa doctrine des forces productives. L'industrie: cc copula universi » MARX a commencé par enseigner l'identité du naturalisme et de l'humanisme : l'« unité» et la « consubstantialité » de l'homme et de la nature. Seulement son naturalisme est aux antipodes du naturalisme classique (antique) aussi bien que du matérialisme moderne. Il ne s'agit pas d' « imiter » le cosmos conçu comme norme éthique, encore moins de se contenter des psalmodies sentimentales sur l'excellence de la nature et les vertus de l'homme« naturel ». L'expérience de notre « consubstantialité » avec la nature, il ne faut pas la chercher dans le sentiment païen de notre communion avec les finalités immanentes au cosmos, ni dans l'idée matérialiste de notre appartenance passive à la vie aveugle de la nature. De même l' «identité » de l'homme et de la nature ne se manifeste pas dans l' « harmonie préétablie » entre l'être et la pensée que suppose la philosophie prékantienne, ou dans la création artistique, comme chez Schelling. La « fameuse unité de l'homme avec la nature », telle que Marx la conçoit, ne se manifeste que dans les actions par lesquelles l'homme se dresse contre la nature et la soumet à sa volonté. La première dialectique de Marx est une pure métaphysique de la Techn_i~ue, formulée sans équivoque dans cette proposition : La fameuse unité de l'homme avec la nature a de tout temps existé dans l'industrie, et existé sous une forme différente à chaque époque, suivant le développement plus ou moins grand de l'industrie 24 • Erigée en copula universi, l'industrie prend la place de l'Eros platonicien et du Christ de la patristique : c'est elle qui forme désormais le nœud et le milieu de toutes les natures physiques ou spirituelles. Cela veut dire tout d'abord que la « consubstantialité » de l'homme et de la nature n'est pas naturelle, immédiate, donnée une fois pour tou~es, mais historique au suprême degré. C~mm,e~t Marx, la n~ture telle qu'elle se présente «1mmediatement», soit comme monde physique, soit comme société humaine, bref, « la nature prise objectivement aussi bien que subjectivement n'existe pas immédiatement d'une façon adéquate à l'essence humaine» 25 : la médiation, la négation de cette immédiateté par la lutte contre la nature, constitue à la fois le sens de l'histoire et l'accomplissement progressif de la nature elle-même. Aussi l'industrie n'est pas seulement « le lieu de naissance de l'histoire » 26 humaine ; elle est en même temps la forme et la force par laquelle 24. Ibid., p. 41 (VI, 161). 25. NPh, p. 251 (VI, 78). 26. HF, p. 286.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==