A. PATRI résurrection de ce déterminisme sur lequel il n'avait jamais songé à porter une main sacrilège. C'était un sérieux motif à envisager, dans les considérants d'un recours en grâce. Dans Physique et philosophie, Werner Heisenberg, le découvreur des célèbres relations d'incertitude de la physique quantique (1927), a évoqué les démêlés de l' « interprétation de Copenhague » - orientée vers l'indéterminisme, - admise par la plupart des savants occidentaux, avec la sévère inquisition soviétique 14 • Ici, se situe un épisode politico-scientifique assez peu connu ayant eu pour théâtre les ténèbres extérieures à la Sainte Union soviétique, et plus précisément notre pays. Pourquoi l'illustre Louis de Broglie, brûlant ce qu'il avait adoré, a-t-il cru indispensable de revenir sur l'adhésion qu'il avait d'abord donnée publiquement à l' « interprétation de Copenhague», condamnée en haut lieu moscovite ? Le nom de son collaborateur et inspirateur, connu non seulement comme chercheur mais comme militant 15 , encourage une hypothèse qui, après tout, n'est pas plus gratuite que celle qui consiste à supposer des « variables » expérimentalement « cachées » pour sauver théoriquement le vieil et respectable déterminisme de la mécanique classique. Dans le magistral dictionnaire des sergents instructeurs Rosenthal et Ioudine, on cherchera en vain les noms des principaux tenants mondialement connus de l' « interprétation de Copenhague » tels que Niels Bohr, Max Born, P.A.M. Dirac, etc. A plus forte raison celui de Werner Heisenberg, le fauteur d' « indéterminisme », et même celui de Max Planck, le père de la physique des quanta. Mais, poussant la curiosité jusqu'à la lettre M, on découvrira Mécanique quantique, article dont la particularité est de ne contenir aucun nom propre, ce qui laisse supposer qu'en U.R.S.S. on a prouvé la génération spontanée des lois scientifiques. A Noyau atomique, épouvantail qu'il fallait tout de même bien agiter à cause de la bombe, on daigne évoquer la dynastie des Curie, dont certains membres étaient sectateurs de la vraie foi, et on laisse supposer que le Russe Mendéléev, auteur de la célèbre classification périodique, au temps des tsars, était pour quelque chose dans l'affaire. Typique de la mentalité soviétique officielle est cette exploitation des conséquences techniques après caviardage des sources théoriques lorsque celles-ci ne sont pas philosophiquement conformes. Il faut reconnaître aussi que les sous-officiers du matérialisme dialectique - eu égard aux ori14. Werner Heisenberg : Physique et philosophie, traduction française, Albin Michel, 1961, pp. 153-162. 15. La Physique quantique restera-t-elle irnUterministe ?, par Louis de Broglie et J.-P. Vigier, Ed. Gauthier-Villars, 1953. L'hypothèse de c variables cachées• n'a présentement ni source ni sanction expérimentale. Elle paraît donc c gratuite•, au sens de l'e hypothesesnonfingo • proféré par Newton, au moins aux yeux d'un simple philosophe. Biblioteca Gino Bianco 283 gines prolétariennes dont ils peuvent se prévaloir - ne sont guère aptes à fourrer un nez inquisiteur dans les équations, ce qui laisse subsister, par bonheur pour la science soviétique, une certaine liberté de fait aux niveaux théoriques les plus élevés, pourvu que révérence soit gardée aux dogmes dans les préfaces écrites en langage vulgaire. Mais certains domaines sont plus accessibles que celui des hautes mathématiques ou de la physique des principes, tel celui de la biologie. Ici se place le retentissant épisode Lyssenko, qui a défrayé la chronique bourgeoise. On ne découvrira pas directement dans le dictionnaire soviétique le nom de ce découvreur, mais il est maintes fois évoqué à Mitchourine et à Doctrine (mitchourinienne), etc. L'humble jardinier dont il s'est fait le prophète a eu droit au moins à deux articles. On sait que le génial et humble Mitchourine était l'anti-Mendel, Mendel auquel on attribue la découverte des fameuses lois de l'hérédité ayant été lui-même jardinier, mais d'un couvent, donc obscurantiste clérical, incapable pour cette raison d'avoir formulé autre chose que des « pseudo-lois » (dixerunt R. et I.). Il fut un temps où, dans leur égarement, les biologistes soviétiques, héritiers d'une glorieuse tradition scientifique, révéraient les lois de Mendel au même titre que leurs collègues occidentaux. Mais Lyssenko est venu changer tout cela, abaissant les superbes et élevant un simple, avec l'appui du souverain régnant : « La maison est à moi, c'est à vous d'en sortir. » N. I. Vavilov,une des gloires de la biologie soviétique, en est si bien sorti qu'on ne l'a plus revu. Cependant, tandis que Lyssenko annonçait au monde étonné des métamorphoses dignes de celles d'Ovide, triomphe de la << mutation dirigée» au sens de la doctrine mitchourinienne, des savants occidentaux, parmi lesquels des amis notoires de la politique soviétique, suppliaient le drôle de soumettre ses « expériences » à un contrôle international, de rigueur usuelle en milieu scientifique, contrôle qu'il récusait d'avance en le taxant de tentative d' « espionnage ». Alors, même des gosiers les plus rouges, comme celui de l'américain Muller, commençait à sortir, non seulement l'injure de la guerre froide: « Charlatan ! », mais le cri angoissé : « Lyssenko, qu'as-tu fait de Vavilov 16 ? » Khrouchtchev a depuis lors établi qu'à cette époque on ne vivait pas en U.R.S.S. « sous un prince ennemi de la fraude ». Mais, aux dernières nouvelles, à l'occasion d'un des multiples « regels », Lyssenko serait réapparu dans toute sa gloire universitaire et policière. Pour le bien de la biologie soviétique, nous voudrions espérer qu'on saura l'englober dans l'amalgame « anti16. En France, le professeur Prenant s'est réfugié dans le silence en quittant le comité central du P.C. En U.R.S.S., il lui aurait fallu, comme les autres, abjurer son « mendélisme • et réformer en conséquence son enseignement.
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