Le Contrat Social - anno V - n. 4 - lug.-ago. 1961

218 Le dégivrage initial Au DÉBUTde 1957, on parlait aux EtatsUnis de déstalinisation économique, sorte de dégel qui aurait commencé après la mort de Staline 11 • L'idée venait de l'évolution observée dans la littérature. Or, dans l'économie, le dégel se situe à un tout autre moment ; en littérature, il fut au plus fort en 1956, alors que dans la pensée et l'action économiques il ne faisait que commencer. (La raison en est évidente. Enlittérature, le dégel dépendait de l'action personnelle; les dirigeants n'avaient qu'à le subir. En matière économique, ils devaient agir eux-mêmes.) Cette différence de calendrier entre littérature et économie est fort importante et il faut en tenir soigneusement compte quand on traite de l' économie post-stalinienne. Dans l'économie, la transition de l'état de choses de la fin du règne de Staline à celui de la fin de 1960 ne se fit pas en droite ligne. L'évolution semble y avoir imité ce qu'on observe dans la nature. Quand on dégivre une denrée congelée (et la pensée et l'initiative économiques étaient sous Staline en état de congélation), le départ est particulièrement lent. Il peut s'écouler beaucoup de temps avant que la température atteigne le degré où commence le véritable dégel. Pendant cette étape préliminaire, la congélation devient simple réfrigération. Il y a tout lieu de croire que le véritable dégel de la pensée économique ne commença vraiment qu'à la fin de 1956, près de quatre ans après la mort de Staline. On pourrait faire valoir, non sans raison, qu'il ne se passa pas grand-chose dans l'économie à ce moment-là, les événements importants se situant en 1957 et 1958. Mais, même si l'on attache plus d'importance que nous à ce qui se passa de 1953 à 1956 . inclus, la nécessité d'une distinction n'en demeure pas moins. Quels que fussent les changements intervenus pendant les quatre premières années, la pensée ou l'initiative n'y jouait pas un grand rôle et les quelques bonnes intentions mises en œuvre furent en partie exécutées en dépit du bon sens. Malgré l'incessante propagande qui vante les « immenses » avantages d'une économie planifiée et socialisée, la version de cette économie, telle qu'elle existait pendant les dernières années de la vie de Staline, était caractérisée par un énorme degré d'irrationalité et de gaspillage 12 • Système des prix gravement désorganisé dû à l'omission du coût de l'utilisation du capital, taux d'amortissement insuffisants, prix fixés pour certaines marchandises importantes sans égard au prix de revient et incapacité pure et simple, sans parler du mépris de la valeur des biens de consommation (privés et d'Etat), tout cela joua un rôle important. II. Cf. par ex. A. Nove : « Problems of Economie Destalinisation », et Gregory Grossmann : « Economie Rationalism and Political Thaw », tous deux in Problems of Communism, Washington, mars-avril 1957. 12. L'irrationalité est en fait une forme de l'inefficacité. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Autres causes : objectifs impossibles à atteindre, projets manifestement irrationnels entrepris par respect d'un dogme insensé ou simplement pour la glorification du régime et des dirigeants. Last but not least, effets défavorables de la supercentralisation de la bureaucratie dictatoriale en général, et plus simplement ignorance de ceux qui prenaient les décisions sans se soucier de l'avis des gens compétents 13 • Non pas que rien n'ait été fait pendant le dégi- • vrage pour pallier les immenses absurdités et insuffisances héritées de Staline, mais ce fut peu de chose en comparaison de ce qui s'imposait. A notre connaissance, il n'y eut que deux actions positives importantes, et dans les deux cas la nécessité en était connue depuis longtemps et était parfaitement de la compétence de Malenkov et de Khrouchtchev. Le caractère limité de l'action positive entreprise au commencement du dégivrage apparaît encore plus clairement quand on la compare à ce qui se passa par la suite ~t qui exigeait beaucoup plus d'intelligence et d'habileté. Les deux changements positifs de ce commencement de dégivrage concernent l'agriculture et les dépenses pour les forces armées. * )f )f CEQUIDISTINGUEessentiellement l'époque poststalinienne de l'époque stalinienne, c'est l'abandon de l'exploitation brutale de l'agriculture au profit d'une attitude plus raisonnable. Les premiers signes étaient apparus dès août 1953 dans un rapport de Malenkov, mais les mesures prises n'étaient ni radicales ni judicieuses. Les hommes au pouvoir semblaient ne pas trop savoir comment aborder le problème. Les marges entre les prix payés aux producteurs à titre d'achat et les prix payés pour les livraisons obligatoires (division des plus artificielle et économiquement malsaine) ne furent jamais si grandes (quatorze fois pour les graines de tournesol, par exemple) que pendant que la congélation se changeait en réfrigération. Il est impossible d'évaluer exactement l'importance des changements apportés aux dépenses pour les forces armées, car on en ignore l'étendue. Si, comme nous le pensons, après 1952 ces dépenses augmentèrent beaucoup moins que le revenu national, cela se traduisit dans une certaine mesure par une économie substantielle qui permit les augmentations notables observées dans le revenu réel des paysans, ainsi que le maintien, voire la progression, du taux de croissance élevé des inves~ssements. Bien que l'accroissement des revenus des paysans - comme d'ailleurs de ceux des ouvriers industriels - fût loin d'être suffisant, l'économie devenait néanmoins plus saine. 13. Pour plus de détails, cf. notre étude: « Rationality and Efficiency in the Soviet Economy ,,, in Soviet Studies, avril et juillet 1961. ..

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