K. PAPAIOANNOU Moscou, l'abolition des cours de marxisme-léninisme que, selon la KomsomolskaiaPravda 19 , ils trouvent franchement ennuyeux. C'est bien cela, l' « indifférence idéologique » (lisons : la mithridatisation à l'idéologie obsessionnelle), que la presse officielledénonce dans la jeune génération : de toute évidence, ce n'est pas celle-ci qui continuera l'entreprise gigantesque et de plus en plus ubuesque de « reconditionnement » des esprits et de « quadrillage » mental qui, de Lénine à Staline, a transformé la société en un immense camp de rééducation. En outre, il se peut très bien que les nouveaux dirigeants, directement issus du Herrenklub des fonctionnaires et passés sous le rouleau compresseur de l'anonymat bureaucratique, considèrent déjà toute activité théorique, réelle ou prétendue, comme une marque de provincialisme. Quelle est la personnalité de chacun de ces hommes ? Elle n'apparaît guère dans leurs manifestations publiques. On chercherait en vain la moindre idée originale dans leurs discours bourrés de chiffres et de formules mille fois entendues. Dès leurs premiers pas dans la politique, ils ont subi l'emprise de l'effroyable génie : nul doute qu'ils ne soient suffisamment immunisés contre la tentation du terrorisme intellectuel. On se sent réellement soulagé de voir les proverbes populaires et les références à la culture du maïs se substituer aux citations de Marx et d'Engels. Parvenus au degré zéro de l'expression, ces césariens de série ne semblent connaître et reconnaître qu'une seule 19. N° du 18 octobre 1956. Biblioteca Gino Bianco 207 activité « idéologique » : celle qui consiste à étaler solennellement des statistiques soigneusement incontrôlables, sinon truquées, devant des assemblées de fonctionnaires dociles. Cette forme de « charisme » complètement bureaucratisé, débarrassé de tous les vestiges de l'ère des tribuns et des écrivains, n'est-elle pas celle qui convient le mieux à la société bureaucratique qu'ils ont contribué à façonner et dont ils occupent maintenant le sommet ? Pourquoi dès lors n'y verraient-ils pas une manifestation suprême du principe du plaisir ? L'orthodoxie pseudo-religieusea fait son temps: ce qui était l'âme d'une entreprise « messianique » s'est rabougri jusqu'à devenir un digest de banalités. Si l'orthodoxie, au nom de laquelle les visionnaires de la vérité future se faisaient les mystificateurs du présent, s'écroule et se désagrège, c'est la conséquence de son propre développement interne : après avoir été portée à son paroxysme,ellen'est plus aujourd'hui qu'un verbalisme sans support. Les « conflits idéologiques» tournent dans le vide ; les citations rituelles sonnent creux; le fondement ultime, psychique de l'orthodoxie, à savoir l'assurance vertigineuse de posséder le vrai, est ébranlé. Les interdits tremblent sur leurs bases et les hommes se remettent à penser par eux-mêmes. Il y a un siècle, Marx louait la bourgeoisie d'avoir créé un monde où l'homme « était enfin contraint de regarder la réalité avec des yeux désabusés». 11 a fallu passer par le « marxisme orthodoxe » pour comprendre combien cet éloge était fondé - et combien ce monde était fragile. KOSTAS PAPAIOANNOU. ,.
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