198 espérances, l'acco~plis~e!11~ntd_ece qu'on rega~- dait comme une necessite historique et un dessein providentiel. De même, il importe de bien <:o~prendre ce que signifiait, pour les rares ~épu!'lica":lsde 1830~ ce principe de la souvera1nete nationale qui constituait à lui seul tout leur programme. On pourrait presque résumer son contenu en _disa1?-t qu'il signifiait essentiellement la guerre 1mmediate contre toute l'Europe. Un premier P<?intdoit ê!re pré~isé ,..:ç'~st _que souveraineté nationale, qui va bientot signifier suffrage universel, n'implique encore rien de tel lors de la révolution de 1830. A ce moment-là, la souveraineté nationale n'implique pas non plus d'institutions de quelque sorte que ce soit. Mais proclamer le principe de la souveraineté nationale, c'est indubitablement lancer un défi à l'Europe de la Sainte-Alliance. Non seulement à la Prusse, à l'Autriche et à la Russie, mais à l'Angleterre elle-même, dont le gouvernement est chaleurell:x partisan de Poligna~, e~ passe même I?O?r,avoir poussé à la const1tut1on de son mtruste!e 15 • Les républicains le, save!lt·. Ils n~ se qual~fient pas eux-mêmes de repubhca1ns, mais de patriotes. Ils calculent les forces, estiment la France capable de vaincre de nouveau l'Europe entière et d'apporter la vérité aux peuples. Ils tireront bientôt des plans sur l'aiqe à recevoir du Grand Turc et du Sophi. Le premier reproche qu'ils adresseront à Louis-Philippe, c'est de s'abstenir de la guerre, de renoncer aux frontières naturelles, à la propagande. La dénonciation des traités de I 815 est, en 1830, le point essentiel des aspirati_onsrépublicaines. La République, c'était la Revanche. Au témoignage de Marrast, Isambert rêve de reconquérir les frontières naturelles : cc Nous rattachons le présent au passé, et notre affranchissement de l'Europe date de la même époque que la conquête de nos droits » ( Document p_our l'histoire de France, p. 26). Et lorsque Thiers conduit quelques républicains au Palais-Royal, la première question posée au duc d'Orléans, c'est : cc Quelle est vo"tre opinion sur les traités de 1815 ? Ce n'est pas une révolution libérale, prenez-y garde, que celle qui s'est faite dans la rue, c'est une révolution nationale 16 • » SUR LE PLAN de l'organisation intérieure, les républicains de 1830 n'ont aucune idée précise. La Fayette rêve d'une république à l'américaine, et c'est pourquoi il se ralliera si aisém~nt à la 15. Cf. Revue britannique, tome 27, Paris 1829, p. 50. 16. Louis Blanc : Histoire de dix ans, tome I, p. 357. BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL candidature du duc d'Orléans : les jeunes gens qui l'assiègent à l'Hôtel de Vill~ n'o.nt. en co~- mun avec lui que le nom de republicams. M~s le régime qu'ils envisagent, c'est la c~ntrep~e intérieure de la guerre générale : un v!olent etat de tension, d'éréthisme, un pouyoir cen~ puissant contrôlant étroitement la vie collecttve. Et nous apercevons ici l'importance d~ la distinction si en faveur sous la Restauration entre la liberté des anciens et la liberté des modernes. Nous avons rappelé 17 la façon dont Benjamin Constant avait développé ce thème en 1819. Il ne faisait du reste que paraphraser des pages remarquables d'Augustin Thierry publiées deux ans plus tôt dans le Censeur européen 18 • Et ce thème lui aussi devint une manière de lieu commun. C'est qu'il était un puissant argument contre ceux qui, tels les «patriotes» de 1830, voulaient de nouveau respirer l'atmosphère vertueuse et guerrière de la Révolution française. ~ A ce totalitarisme à l'antique fondé sur la primauté de la collectivité, les libéraux opposaient, avec Augustin Thierry, notre «besoin d'une existence toute libre et toute personnelle ». Thierry, parlant de «notre naturel déchu », fait clairement allusion à la théorie de Rousseau - présente en ce temps-là à l'esprit de chacun - selon laquelle, la république se fondant sur la vertu (comme l'a dit Montesquieu), nos façons de vivre de civilisés nous éloignent de ce régime. Mais il n'y a aucune humilité dans ce renoncement au régime de la vertu. Thierry - comme après lui Constant et tous les libéraux - ne doute pas de la supériorité de l'individualisme moderne sur le civisme antique 19 • Sans doute les« patriotes» de 1830 ont-ils le sentiment d'avoir pour eux «le droit éternel », comme dira plus tard Hamel, parce que - continuateurs lointains de la Renaissance et derniers représentants de ce « retour à l'antique » qui a commencé sous le règne de Louis XVI et présidé à la Révolution et à l'Empire - ils portent en eux l'esprit de l'Antiquité et des études classiques, et veulent, par-delà les erreurs médiévales, renouer avec la raison abstraite. Mais les libéraux n'ont ni moins d'assurance ni moins bonne conscience lorsqu'ils font choix du duc d'Orléans pour régner sur le pays : approuvés~ soutenus par la nation tout entière, dociles à la marche de l'histoire, ils instaurent en France le régime qui convient aux modernes. YVES LÉVY. 17. Cf. Contrat social, juillet 1960, p. 207. 18. A. Thierry: Vue des révolutions d'Angleterre, in le Censeur européen, tome IV, Paris 1817. Cf. notamment les pages 10 à 13. . 19. Avant Fustel, avant Bergson, il oppose (pour user des expressions de ce dernier) nos sociétés ouvertes aux sociétés closes de l'antiquité.
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