Le Contrat Social - anno V - n. 1 - gennaio 1961

60 la classe ouvrière et que n'avait aucunement séduit la « logomachie matamoresque » du syndicalisme révolutionnaire, apporta son concours à la C.G.T. de Jouhaux et de Merrheim, parce qu'alors «.ellet_enta,sans se départir d'une emphase qu'il fallait bien comprendre et excuser, de se mettre à penser s~rieusement » (p. 9~), se~onde étape d'une évolution dont on ne prevoyrut pas qu'elle mènerait à la situation d'aujourd'hui, où « le syndicalisme est partout et nulle part » (p. 92). Du syndicalis~e, on ~asse aisé~e~~ à la po}itique. Emery y vmt, environ sa vingtteme annee, alors que « Lénine, Wilson et Clemenceau dressaient à l'horizon des statures d'un haut relief, nanties d'un pouvoir symbolique » (p. 72). Et ce fut finalement le combat pour la paix qu'il choisit, non sans que son appartenance aux milieux pacifistes ne comportât une bonne part de malentendu, car il ne croyait pas que le capitalisme portât en lui la guerre, comme l'a dit Jaurès, ni que l'objection de conscience fût possible en dehors d'un climat religieux comme celui d~ tinde. On i1!1agine et d'aucuns savent d'expenence, ce qu un tel dombat a pu apporter de déceptions, de désillusions - d'enseignements aussi. Emery y a appris que « la politiq_uen'est ,pas un mé~anisme, encore moins une logique, qu tl y faut faire large place aux ondes du sentiment, aux impulsions venues des personnalités éminentes et aux décrets du hasard » (p. 72). Scepticisme ? Assurément non, et pessimisme pas davantage. Emery fut toujours en faveu~, même « en pleine tempête, d'un finalisme optimiste » auquel la sérénité du soir donne aujourd'hui un accent qui fait songer à Gœthe. C'est la même ample sagesse, qui n'ignore pas les bassesses de l'homme, mais non plus sa noblesse. «On n'est pas ten~ de monter ju~qu'aux cim~~,mais de savoir au moms qu'elles ex.1stentet qu t1 est vers elles des chemins que d'autres ont pu suivre.» Sur cette maxime s'achèvent les mémoires d'un homme qui usa sa vie à conduire ceux qui lui étaient confiés là d'où l'on peut voir les cimes et les routes qui y montent. CLAUDE HARMEL. p .-S. - Les livres de Léon Emery se trouvent aux Cahiers libres, 3, rue Marius-Audin, à Lyon. En traversant la Manche MARC BLOCH : Seigneuriefrançaise et manoir anglais. Paris 1960, Libr. Armand Colin, Cahiers des Annales, 159 pp. IL s' AGIT d'un cours de Marc Bloch inachevé, mais de quelle qualité... L'auteur est parti du contraste qu'offre le paysage rural français avec le paysage rural anglais pour qui traverse la Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Manche. Son objet est une explication remontant aux origines, avec ce judicieux postulat qu'en histoire « l'important n'est pas le récent». On fait donc, en compagnie de ce merveilleux guide, un double voyage dans l'espace et d~s le temps : la promenade dans le temps condwt le lecteur du IXe siècle à la veille de la Révolution française. L'historien de la civilisation ne s'intéresse pas aux événements, mais à ce qui dure, et il fait voir ·comment ce· qui dure se transforme souvent sans bruit. Ainsi l'histoire, au lieu de paraître un chapelet d'événements, offre une majestueuse continuité, une «dll!ée » dans . le sens bergsonien du mot. Il est V!a1.que le suJet, l'histoire de la campagne, favonsrut cette perspective. Chemin faisant, bien des préjugés sont l'objet de rectifications. Une des plus amusantes concerne le droit coutumier, que l'auteur estime le plus souple, le plus à même d'évoluer, tandis que l'on serait d'abord porté à supposer que la coutume, c'est la routine (cf. p. 72). On apprend aussi comment l'exemption fiscale des nobles et le retard du développement de la justice royale en France ont protégé en fait le paysan contre le seigneur (p. 138). Le lecteur est· instruit avec précision des subtilités de la notion de liberté au Moyen Age, liberté qui ne consiste pas à se passer du seigneur, mais à pouvoir le choisir (p. 77). Il est entendu que le «manoir» anglais (terme d'origine française normande) correspond à la «seigneurie » française ; le mot qui a passé la Manche n'a donc plus le même sens qu'en France : il ne désigne pas seulement la maison, mais toute l'étendue du domaine complétée par celle des tenures. D'où vient le contraste rural anglo-français ? Il n'est pas inscrit dans la nature géographique des choses. Au x111e siècle l'Angleterre restait essentiellement un pays exportateur de matières premières et de denrées, importateur d'objets manufacturés. La conquête normande avait entraîné l'importation d'une classe dominante. Au xve siècle, on ne trouvait pas encore les «haies » (enclosures) caractéristiques du paysage qu'ont popularisé les estampes anglaises : c'était la «rase campagne» que l'on voit aujourd'hui en Picardie. La haie qui s'établit partout à la fin du xvie siècle marque l'abolition des servitudes collectives, le remembrement des parcelles, le découpage du communal et aussi la substitution à la« joyeuse Angleterre» (merry oldEngland) de la triste Angleterre des lois sur les pauvres qui nourrira plus tard la délectation morose de Malthus et de Karl Marx. Cependant la nuit du 4-Août britannique, correspondant à l'extinction . du «manoir», n'aura lieu ~u'en 1922 avec effet du 1er janvier 1926 (p. 128). Ces quelques lignes sont une invitation à la lecture, non une dispense de lire. Luc GUÉRIN. ,.,

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