Le Contrat Social - anno V - n. 1 - gennaio 1961

QUELQUES LIVRES politique des demi-solde ou de Louis-Napoléon, mais d'une part, par une situation et une structure politiques particulières - dans les périodes de confusion politique, les peuples sont portés à faire confiance à un réformateur, et la nouvelle Constitution offrait aux Français l'occasion d'en désigner un, - d'autre part, par la légende napoléonienne répandue dans le peuple. Or cette légende était entretenue non seulement par les chansons de Béranger, mais par les livres de colportage et par les images de la rue Saint-Jacques ou d'Épinal. Peu de livres souffrent autant que celui-ci de · n'être pas illustrés. Mais à ces images absentes il ne fallait pas que le texte se contentât de faire allusion. Le culte de Napoléon, ce n'est pas dans l'histoire officielle, dans la littérature officielle qu'il se forge. Pour les bourgeois, pour les intellectuels, Napoléon III est un homme nouveau, et non le descendant du grand Empereur. La continuité napoléonienne, seule une étude folklorique aurait pu la déceler. Cette étude, M. LucasDubreton ne l'a pas faite. C'est dommage. Son livre demeure un utile répertoire de faits. Mais l'essentiel fait défaut. Signalons à ce propos que si les religions officielles ne relèvent pas du folklore, en revanche les cultes dissidents s'y inscrivent tout naturellement. Il est curieux de noter que M. LucasDubreton ne cite ni l'abbé Chatel, « évêqueprimat de l'église catholique française», ni l'abbé Auzou qui, après avoir suivi l'abbé Chatel, fonda l' « église évangéliqùe française », avant de rentrer dans le giron de l'Église romaine. L'abbé Auzou publia des oraisons funèbres de Napoléon Jer et de Napoléon II (en 1834 et 1832). Quant à l'abçé Chatel, son Nouvel Eucologe à l'usage de l'Eglise catholique française (seconde édition, datée « 1835-1836 ») contient une « Messe anniversaire pour Napoléon» qui est le plus beau témoignag~ qui soit du « culte de Napoléon ». En voici quelques échantillons : « Père de tous les hommes ! protecteur des nations ! par ton pouvoir, au siècle dernier, un grand homme apparut parmi nous ! (...) Sur son front s'entassèrent les couronnes, et ces brillants fardeaux ne firent point courber sa noble tête ! (...) Mes frères, célébrons l'anniversaire de l'homme le plus grand peut-être qui soit jamais sorti des mains du Créateur ! (...) L'âme du grand Napoléon doit jouir dans le sein de Dieu du bonheur qui récompense la vertu dans le céleste séjour. (...) De même que Jésus-Christ vient réformer le monde moral, Napoléon fut appelé à ,la .réforme du monde physique, et son royaume eta1t de ce m~nde. (.•.) Comme le Christ, il eu~ des ~sc~ples qui reposèrent sur son sein, et, parmi ces disciples de la régénération sociale, plus d'un Pierre, plus d'un Judas se sont horriblement illustrés pour le malheur de notre Patrie, et, comme au jardin des Oliviers, tous ceux qui ne le trahirent pas l'abandonnèrent avec la fortune. 0 mon Dieu ! puissestu le leur pardonner. » Biblioteca Gino Bianco 55 Ce fut là, semble-t-il, pour l'époque considérée, la seule expression strictement cultuelle du culte de Napoléon. YVES LÉVY. La classe malheureuse ANDRÉEANDRIEUXet JEANLIGNON: L'Ouvrier d'aujourd'hui. Sur les changements dans la condition et la conscienceouvrières. Préface de Pierre Naville. Paris 1960, Libr. Marcel Rivière et Cie, 214 pp. LA SOCIOLOGIdEu travail est une discipline encore jeune et ses enquêtes se soldent d'habitude par de bien maigres résultats. Aussi risquet-on d'aborder le présent ouvrage avec quelque méfiance dès lors qu'il se présente, lui aussi, comme le fruit d'une enquête. Il en a l'appareil habituel : enquêteurs, aide-enquêteur, tableaux statistiques, questions de contrôle, etc. Mais en l'occurrence tout cela est secondaire ; on serait tenté de dire que ce n'est ici qu'une forme extérieure. Les auteurs ont vécu en milieu ouvrier (Jean Lignon a travaillé pendant des années comme tourneur) ; ils ont observé divers phénomènes, repéré les erreurs de méthode ayant amené tel sociologue à des conclusions fausses, proposé des interprétations nouvelles. Bref, l'angle sous lequel ils ont vu le monde ouvrier ne diffère pas radicalement de l'optique de l'ouvrier intelligent qui s'interroge. Aussi l'enquête proprement dite, menée d'ailleurs à l'insu des chefs d'entreprise et dans un milieu restreint, ne constitue-t-elle pour leur analyse qu'une source d'informations parmi d'autres. Un cas particulier le montrera. A l'usine, un tourneur de cinquante ans disait souvent à Jean Lignon que l'ouvrier se sentirait satisfait s'il touchait un salaire suffisant - type accompli des réponses recueillies par un enquêteur. Or le même homme ne cessait de pester contre les manières des chefs à l'égard des ouvriers. En fait, il se passionnait surtout pour ses excursions en voiture, encore une des données dont les enquêteurs se contentent d'habitude saris analyse. A l'examen, les randonnées apparaissaient comme une tentative d'échapper au mépris auquel le camarade de travail de Lignon se sentait exposé tant qu'on distinguait en lui un ouvrier. En _fin de compte, celui-ci, oubliant ses propres maximes, s'emportait contre ceux qui ne recherchent que des gains accrus et subissent leur sort sans se révolter. Il avait fallu se lier d'amitié avec lui pour découvrir la clé de ses attitudes contradictoires. C'était un ancien syndicaliste révolutionnaire, militant des années 20 ; tout en professant que sans idéal la vie de l'ouvrier n'a pas de sens, il en était arrivé à conclureque l'émancipationparle travailn'est qu'un leurre ou, selon une de ses formules, un

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