Le Contrat Social - anno V - n. 1 - gennaio 1961

QUELQUES LIVRES alliance durable avec celui-ci et celle-là et renvoyait aux calendes la lutte de classes et la dictature du prolétariat, pierres angulaires du marxisme-léninisme. Tant que l'État soviétique se débattait dans la guerre civile et la guerre russo-polonaise, les autorités avaient trop besoin des troupes musulmanes mises sur pied par Sultan Galiev pour s'inquiéter outre mesure des hérésies des « sultangaliévistes ». Mais dès la consolidation du pouvoir, le « centralisme démocratique» russe ne put tolérer la « tatarisation » de l'administration de la République autonome tatare, non plus que les théories de Sultan Galiev. Arrêté en mai 1923 et accusé par Staline non seulement de déviationnisme mais aussi d'avoir créé une « organisation clandestine de musulmans (...) ennemie du prolétariat russe et hostile à la politique nationale du Parti », Sultan Galiev fut exclu du Parti (9-12 juin 1923) malgré son acte de contrition. Sultan Galiev trouva un gagne-pain aux Éditions d'État, havre des intellectuels en disgrâce, sans renoncer pour autant à la propagande clandestine. Son activité et sa doctrine, auxquelles ses adversaires collèrent l'étiquette de « sultangaliévisme»,ne pouvaient aboutir qu'à une seconde arrestation et à sa condamnation en 1929 : dix ans de « redressement par le travail » aux îles Solovetski, dans la mer Blanche. Libéré en 1939 et interdit de séjour dans la plupart des grandes villes, il s'installa à Oulianovsk (ex-Simbirsk) sur la Volga, où l'on perd sa trace pendant la guerre. Les auteurs soulignent avec raison : La disgrâce de Sultan Galiev est une étape dans l'histoire du Parti communiste russe - celle de la rupture entre Staline et ceux des communistes musulmans qui espéraient pouvoir utiliser la révolution d'Octobre pour satisfaire leurs propres aspirations nationales (...) Elle marque le début de la longue offensive que Staline allait mener pendant des années contre les communistes nationaux. La condamnation de Sultan Galiev prend ainsi valeur de symbole. A travers lui étaient jugées toutes les déviations panturques et panislamiques passées et à venir (p. 170). Lors de l'exclusion, de Sultan Galiev par le Comité central, Kouïbychev avait dit, au nom de la Commission de contrôle : « Toute cette histoire est un phénomène typique qu'il convient d'étudier sérieusement et d'apprécier à sa juste valeur ... Le ralliement de Sultan Galiev à l'opposition a été préparé par toute une série de faits bien évidents dans notre Parti, dans la réalité russe» (p. 171). Où en est aujourd'hui le « problème des nationalités» en URSS ? Lors des épurations et de la persécution de tous les nationalistes, communistes ou non, les représentants de l'ancienne intelligentsia allogènes, à quelques exceptions près, disparurent dans les camps de déportation. Mais la génération nouyelle, pourtant formée sous le Biblioteca Gino Bianco 53 régime stalinien, « se montre aussi imprégnée de sentiment national que sa devancière et celui-ci prend parfois la forme d'une opposition à la ligne du Parti, qui n'est pas sans rappeler certaines idées soutenues autrefois par Sultan Galiev » (p. 197). Il s'agit donc d'un nationalisme latent. Les auteurs en donnent quelques exemples dans l'ordre culturel. Sur le plan politique, les Tatars de Crimée et les Tchétchènes-Ingouches du Caucase du Nord, entre autres, furent traités par Staline de la manière que l'on sait, sous le fallacieux prétexte d'avoir fait trop bon accueil aux troupes hitlériennes. Dans leur conclusion, A. Bennigsen et Ch. Quelquejay soulignent que depuis le « dégel » qui suivit la mort de Staline... ... des réactions nationales longtemps refoulées se manifestent dans les régions musulmanes (...) Elles ne sont plus révolutionnaires. Elles ne sont plus tournées, semble-t-il, vers le monde musulman extérieur, comme l'était le sultangaliévisme. Il s'agit essentiellement d'exigences visant l'aménagement des institutions en vue d'obtenir une part plus grande dans le gouvernement du pays et dans la répartition des profits du pouvoir. Les mouvements nationalistes d'aujourd'hui sont « revendicatifs » au sens où les syndicats ouvriers le sont, ils sont en fait réformistes (p. 199). Cette comparaison souffre de l'omission d'un adjectif et trahit manifestement la pensée des auteurs. Il s'agit là évidemment des syndicats soviétiques; car si -en Occident les syndicats possèdent les moyens de défendre les intérêts des ouvriers, le pouvoir revendicatif des syndicats soviétiques ne dépasse point le cadre de l'entreprise ou même de l'atelier. Au-delà, il ne peut s'exprimer qu'avec l'accord préalable du Parti. La résurgence constante du nationalisme dès le premier indice d'un relâchement de la pression du Parti, dont parlent les auteurs dans leur conclusion, est une preuve de plus que Moscou n'a pas encore trouvé de solution viable au problème national et n'a même pas réussi à former suffisamment de Quisling locaux pour ses républiques allogènes. La solution n'est qu'un régime colonial déguisé. Pour arriver à l'autonomie réelle des minorités nationales, Moscou devrait faire encore beaucoup de concessions. Mais les impératifs économiques s'opposent trop souvent à la conciliation de l'intérêt des républiques fédérées musulmanes avec les besoins du Kremlin. En annexe, une cinquantaine de pages de traduction intégrale de quelques articles de Sultan Galiev et de documents du Parti le concernant. Ces pièces fort instructives, publiées en URSS en 1918-23; étaient jusqu'ici pratiquement inaccessibles au lecteur occidental. Leur fait suite une bibliographie de I 6 pages des ouvrages et articles de revues russes, tatares, turques et autres traitant du problème national chez les Tatars sous le régime tsariste et le régime soviétique de 1917 à 1930.

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