B. SOUV ARINE dans tout cela que ce qui correspond aux faits vérifiables et qui puisse se traduire en actes : le reste est impuissance et chantage. Seul dans le . « camp socialiste », l'État soviétique détient les moyens de défier l'alliance atlantique et il ne s'en sert pas car il périrait dans une dévastation universelle, Khrouchtchev et son entourage le savent de science certaine. Quant à Mao, son jeu consiste manifestement en une double pression de maître-chanteur, l'une en fonction de l'autre. Sur les États-Unis, la pression chinoise s'exerce par l'intermédiaire des gouvernements soi-disant neutres, des partis prétendus libéraux ou progressistes dans les démocraties décadentes, des Nations Unies, etc., en même temps que par une intervention croissante dans les pays retardataires ainsi que dans les mouvements nationalistes dont le fanatisme accepte tous les concours. En revendiquant Formose que les Américains ne sauraient abandonner sans déchoir, Mao s'assure l'avantage d'entretenir impunément dans le monde un trouble qui grandit sa stature factice, à défaut d'obtenir une victoire sans guerre. Sur l'Union soviétique, la pression chinoise s'exerce sous forme de « conflit idéologique » et à coups de citations de Lénine, alors qu'il n'existe ni conflit ni idéologie, mais des chicanes de partenaires ayant leurs intérêts respectifs à défendre, réciproquement insatisfaits l'un de l'autre, solidaires dans leur commune entreprise d'impérialisme planétaire. L'aide soviétique à la Chine n'est pas gratuite, l'État créancier exige de l'État débiteur des remboursements et des prestations qui affectent lourdement l'économie chinoise. A plus forte raison Mao doit-il juger in~uffisante et onéreuse l'aide militaire qu'accorde Moscou et sans le surcroît de laquelle il n'aura pas de sitôt l'armée de sa politique extérieure. Rien ne confirme ce que raconte la presse occidentale à propos d'armement atomique en Chine. De même, les rapatriements de techniciens soviétiques n'excèdent pas les mutations normales après dix ans de coopération et d'échanges. L'hy- ' pothèse la plus plausible éclairant la phase actuelle des relations soviéto-chinoises serait donc celle qui prête à Mao l'ambition de se livrer à une nouvelle démonstration aéro-navale dans le détroit de Formose (impérialisme, tigre en papier, guerres inévitables), mais que la parcimonie et les vues de Khrouchtchev (coexistence pacifique, collaboration économique, Berlin en priorité) interdisent de mettre en œuvre. Condensée dans le cliché du « conflit idéologique», la théorie à la tp.ode implique l'admission aveugle de progrès matériels chinois tels que la Chine puisse éventuellement et à bref délai se détacher de l'Union soviétique pour suivre sa propre voie. On ne saurait davantage se tromper BibliotecaGino Bianco 323 soi-même et tromper tout le monde. C'est subir la fascination de chiffres fantasmagoriques que désavouent après coup les autorités communistes, alors que Tchia Tchin-yun, directeur de la Statis- · tique à Pékin, prononce crûment : « La statistique est une arme de la lutte des classes et de la lutte politique. Nos comptes rendus statistiques doivent refléter la grande victoire de la ligne générale du Parti. Ils ne doivent certes pas être un simple étalage de faits objectifs 6 • » La théorie à la mode induit en erreur les leaders de la coalition défensive qui résiste aux empiétements de l'impérialisme communiste, elle les incite à pactiser tantôt avec Moscou, tantôt avec Pékin, toujours au profit d'un ennemi insatiable. Elle fausse leur optique devant les manœuvres concertées de Khrouchtchev et de Mao quand la connivence profonde prend l'aspect fallacieux d'un antagonisme. La théorie à la mode donnait à entendre que l'Union soviétique ne préconise qu'avec tiédeur l'entrée de la Chine communiste aux Nations Unies : Khrouchtchev a récemment prouvé le contraire et plusieurs fois d'une manière éclatante 7 • Elle discernait des attitudes disparates, soviétique et chinoise, à l'égard de l'Algérie : leur identité devient incontestable 8 • Sur tous les plans, la théorie à la mode est réfutée par l'évidence. En définitive le « conflit idéologique » n'a guère plus de réalité essentielle que l' « unité monolithique » du communisme et, de par la nature des choses, ce sont précisément les rayons soviétiques qui dissipent les ombres chinoises. B. Souv ARINE. 6. Cité dans China News Analysis, Hong-Kong, n° 324, 20 mai 1960. 7. Discours violent et menaçant de Khrouchtchev aux Nations Unies le 1er octobre 1960. Il en a renouvelé les assertions en diverses circonstances qu'il serait oiseux de signaler en détail. 8. La reconnaissance du centre politique terroriste algérien comme gouvernement de f acta par Moscou, les multiples déclarations de Khrouchtchev témoignant d'une pleine solidarité avec l'insurrection séparatiste, l'envoi d'un cargo de matériel aux Algériens qui campent en Tunisie, les réceptions officielles et les manifestations organisées en URSS, des articles comme ceux de la Pravda et des / zvestia du 27 octobre, etc., en sont autant de preuves. Cf. d'autre part les paroles de Mao à Ferhat Abbas rapportées par celui-ci à son retour de Pékin, d'après Afrique-Action, Tunis, 24 octobre : « Rien ne sera fait à votre place. Il ne faut compter que sur vous. Cette guerre est votre guerre. Plus vous saurez être forts, plus vous aurez de soutiens. L'aide de la Chine vous est accordée totalement et inconditionnellement. Elle sera multiforme et évolutive. L'an dernier, nous vous aidions moins que cette année. L'an prochain, tout montre que nous pourrons faire davantage, compte tenu de nos moyens et de la situation internationale. » A Moscou, les dirigeants définissent leurs intentions en termes quasiment identiques. Enfin Mao, comme Khrouchtchev, encourage (surtout de la voix et du geste) le « nationalisme bourgeois » algérien, contrairement à la théorie à la mode qui lui impute la volonté de soutenir exclusivement les partis communistes.
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