Le Contrat Social - anno IV - n. 6 - novembre 1960

322 nommait «tigres de papier » en Chine méridionale, il y a de cela un demi-siècle, une sorte de milice levée par les compradores et que Sun Yatsen désarma facilement en I 924 dans un faubourg de Canton. Il dépend des Américains d'en ~ir avec cette comparaison désobligeante, au premier acte hostile des communistes chinois dans le détroit de Formose, en leur administrant sans consulter personne la leçon qu'ils méritent, le langage de la force étant le seul que comprennent les communistes. L'expérience coréenne, entre autres fâcheux effets, a peut-être trompé Mao et son équipe quant à la possibilité d'une entreprise plus heureuse encore à Formose. Mais de toute évidence la « direction collective », à Moscou, ne l'entend pas de la sorte. En août 1958, elle a pu consentir au bombardement des îlots proches de la côte et en. fournir les moyens pour « tâter » le « tigre en papier », lors du voyage de Khrouchtchev à Pékin : rien de plus. Les experts occidentaux qui ont interprété ce voyage en dépit du bon sens n'avaient pas remarqué la présence du maréchal Malinovski auprès de Khrouchtchev, ni attendu les lendemains tonitruants de cette visite pour y voir l'illustration de l'hégémonie chinoise exercée sur la diplomatie soviétique. L'exhibition de Khrouchtchev aux Nations Unies, cette année, devait achever de confondre les experts. Il reste, en matière de bellicisme, la menace des 300 millions de Chinois maîtres du monde après une guerre atomique, sur les ruines de l' « impérialisme ». Puisqu'il est tant question de papier, il faut seulement s'étonner que le papier supporte, de Mao ou de ses disciples, ladite menace en papier. Aucun critère ne permet d'estimer à 300 millions le nombre des survivants chinois en cas de guerre atomique, aucun argument n'autorise à leur assigner la mission si intéressante de conquérir les décombres de la civilisation anéantie et nul ne croira que les communistes se trouveront . précisément parmi les 300 millions de rescapés, non parmi les 300 millions de victimes. Inutile de demander où sera le bol de riz, par homme et par jour, nécessaire aux soldats jaunes qui s'en iront (comment ?) planter le drapeau rouge (pour quoi faire ?) sur des terres calcinées ou vitrifiées où ne subsisterait plus âme qui vive. Ces divagations ne sont pas dignes d'examen et les gens qui, en Occident, les prennent au sérieux s'abaissent au même niveau. A la rigueur, leur seul intérêt serait de mettre en relief saisissant la pauv;e!é d'esprit, dé~à révélée par tant de traits, des epigones de Staline en Chine. Mao et ses compagnons ont su organiser une force militaire qui, à la faveur du chaos et contre un l_(uomintang sans cadres ni discipline, a pu dormner le pays épuisé par quarante années de · guerres civ~es compliquées de guerre étrangère. Il ne. s'ensuit nullement que Mao soit le continuateu~ ~tellecr:-iel de Marx et de Lénine, le penseur «gerual » qu encensent ses thuriféraires et auquel Biblioteca Gino Bianco _,_ ____ LE CONTRAT SOCIAL rend hommage une certaine intelligentsia occidentale dégénérée. Le parallèle qui s'impose est avec le ni plus ni moins «génial» Staline, héritier d'un pouvoir dont il a déshonoré jusqu'au nom en attendant d'être déshonoré lui-même par les courtisans qui l'avaient hissé sur son piédestal. Il paraît que Mao traverse le Yang-Tsé à la nage et qu'il écrit des vers (dont ne sont pas juges ceux qui ignorent la langue), mais quant à ses proses politiques, répandues à profusion, elles ne perdent rien à la traduction et ne laissent aucune illusion sur l'intellect de leur auteur : ce ne sont que mornes répétitions et délayages de formules empruntées à des devanciers et Rrivées de leur qualité initiale. * * * EN TANTque chef militaire, Mao s'est montré capable d'adapter des conceptions livresques aux conditions spécifiquement chinoises pour s'emparer du pouvoir. Mais le mot fameux que «n'importe quel imbécile peut gouverner avec l'état de siège» s'applique à lui comme à Staline, surtout quand l'état de siège atteint le degré de coercition terroriste instauré par les parvenus du «marxisme-léninisme». Les idées originales de Mao ont fait leurs preuves, entre autres le lavage des cerveaux, complément des sinistres parodies de procès copiées, comme les camps de concentration et les travaux forcés, sur les modèles soviétiques ; la limitation des naissances, aussi brutalement réalisée que brusquement renversée en sens contraire ; les « cent fleurs » qui ont vécu « l'espace d'un matin », juste assez pour attester la popularité à rebours du régime; la série des « contradictions », véritable tissu de platitudes et de sottises ; les hauts fourneaux de dimensions artisanales, producteurs de fonte et d'acier inutilisables ; les « communes » pseudo-populaires, enfin, dont il a fallu bientôt rabattre, mais dont les effets désastreux se font sentir dès à présent sur les récoltes 4 • On comprend que le « culte de la personnalité» de Mao, imité du culte périmé de Staline, soit nécessaire pour compenser les déficiences du personnage. Dans la même catégorie entrent les rabâchages relatifs à l'impérialisme et aux guerres inéluctables, au tigre en papier et à la supériorité des hommes sur les armes atomiques - fastidieuses redites compliquées de contradictions, celles-ci réelles et criantes, affirmant la coexistence pacifique et la primauté de Moscou à la tête des pays sous domination communiste 5 • Il n'y a de sérieux 4. Sur l'état désastreux de l'agriculture chinoise aprèt l'expérience des« communes »,cf.l'exposé de Branko Lazitch: « Le grand bond en avant de Mao ou Un pas en avant, d,wc pas en arrière (Lénine) » in Est et Ouest, n° 247. 5. « Ce fut Mao Tsé-toung, rappelons-le, qui en novembre dernier saluait publiquement l'Union soviétique comme la tête dirigeante du camp communiste, position qui est devenue l'étalon de l'orthodoxie communiste à travers le monde• (T_heNew York Times, éditorial, 20 août 1958).

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