Le Contrat Social - anno IV - n. 6 - novembre 1960

S. LOCHTIN prétendus espions que d'organiser la défense de manière efficace. Mais il reste prudent et se garde bien d'aller trop loin. Il explique tout du point de vue du Parti et à certains moments son livre, en dépit d'excellentes descriptions, ressemble fort à quelque bon éditorial de la Pravda où l'aveu d'un échec est immédiatement suivi d'une analyse idéologique tendant à prouver que, dans le fond, tout va bien. Cependant cette œuvre marque un tournant et s'éloigne du roman de pure propagande qui maudissait grossièrement le « barbare envahisseur» et portait aux nues le « grand et omniscient Staline ». Dans Les Vivants et les morts le point de vue communiste est présenté avec intelligence et quelquefois même avec raffinement. T OUT CELA ne veut pas dire que la littérature de pure propagande sur les thèmes de guerre soit passée de mode et en voie d'extinction. Elle remplit encore les pages des revues littéraires et le meilleur exemple en est peut-être Plus fort que l'atome, de Georges Bérezko, qui relate des événements qui sont supposés s'être déroulés à l'époque des débarquements américains au Liban en 1958 4 • L'histoire a pour cadre les quartiers d'une division aéroportée dans une petite ville de Biélorussie, Mohilev ou Borissov à en juger d'après la description. L'unité reçoit soudain l'ordre de partir en manœuvres et l'atmosphère de secret ·et de tension politique donne aux soldats l'impression qu'ils partent en guerre contre l'Ouest, leur mission immédiate étant d'occuper une base américaine aménagée en vue d'attaques par fusées atomiques contre l'URSS. En fait, les manœuvres sont destinées à montrer à un général en tournée d'inspection de pure routine que l'unité est parfaitement équipée et entraînée. Par la suite la fièvre tombe et les troupes rejoignent tranquillement leurs casernes. L'atmosphère est tendue de bout en bout au maximum, quoique rien de très passionnant ne se produise dans le cours du récit. La tension est créée et maintenue par les descriptions fortement tendancieuses des événements politiques extérieurs qui terminent tous les chapitres. Les phrases en forme de slogan, imprimées en italique, jouent le rôle du ch_œurde la tragédie grecque, Ainsi du paragraphe final : Nous voici donc dans la seconde moitié du :xxe siècle, siècle où les peuples se libèrent de la misère, de l'injustice, de l'ignorance et du capitalisme. Jamais les habitants de cette terre n'ont été si près de la réalisation de leurs désirs. Mais un danger inouï étend sur eux son ombre : dans sa déroute le capitalisme menace l'humanité de sa bombe H. 4. Silniéyé atoma in Znamia, Moscou 1959, n°1 9, 10 et li, BibliotecaGino Bjanco 363 Pendant les quelques semaines que couvre le roman, les principaux personnages subissent une évolution psychologique. Par exemple un simple soldat intellectuellement arrogant, membre de l'intelligentsia, se considère au-dessus de ses camarades à cause de son instruction ; après avoir critiqué ouvertement la discipline militaire, il se transforme en un soldat modeste et zélé. On voit aussi le parachutiste névrosé qui meurt de peur à chaque saut par suite d'une commotion, éprouvée pendant la guerre, qui lui inspire la terreur des armes et de la vie militaire. Raillé par ses camarades et méprisé de ses supérieurs, il devient un personnage quasi héroïque dans l'atmosphère de guerre imminente. Tout cela cadre parfaitement avec la ligne prescrite par le Parti aux auteurs de sujets militaires. Le roman est cent pour cent politique : il exalte les troupes aéroportées soviétiques et les présente comme la grande force capable de faire échec aux bombes atomiques ; il insinue que dans une guerre atomique le capitalisme trouvera sa perte alors que l'armée soviétique se révélera plus forte que toutes les armes nucléaires dont l'ennemi pourrait faire usage. Mais Bérezko est encore plus explicite : le livre contient des notations qui rappellent directement les déclarations du Parti au moment du limogeage du maréchal Joukov. Les instructions adressées à l'armée tendaient alors à renforcer l'autorité des officiers politiques et visaient les officiers de carrière « arrogants » envers le Parti. Le général qui commande la division aéroportée dans le roman personnifie le « culte de la personnalité» dans l'armée. Héros de la dernière guerre et très à cheval sur la discipline, il considère que l'officier doit régner sans conteste sur ses subordonnés. Il traite ses colonels comme le sous-officier prussien traitait les recrues. Mais sa faute impardonnable est de ne pas consulter son adjoint politique et même de s'opposer à lui. L'exercice, ordonné par ses supérieurs, est un triomphe pour tout le monde excepté le général. Il est relevé de ses fonctions et sans doute rétrogradé. Voici ce que Bérezko écrit à ce sujet : Son commandant de corps avait vu bien des cas semblables : général brillant et qui promettait beaucoup, il était incapable d'éviter les pièges. de la vanité et de résister à l'attrait des promotions et des honneurs. Comme beaucoup d'anciens combattants, il était devenu égoïste et orgueilleux. Et tout le reste avait suivi : il avait commencé à s'entourer de subordonnés ternes et serviles, à tolérer le manque d'initiative, à soupçonner et à craindre tout ce qui était nouveau et peu orthodoxe. Quoique le livre ne soit pas particulièrement original, il a le mérite de nous faire pénétrer dans une caserne soviétique. A le prendre à la lettre, il semble que ces dernières années les soldats aient vécu dans un état voisin de l'hystérie, dans l'idée que la guerre atomique est pour demain. Non seulement les hommes de troupe

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