360 plusieurs tanks, abattent un bombardier et tiennent jusqu'à l'ordre de repli sur l'autre rive qu'ils rejoignent sous le couvert des ténèbres. Le thème central est le ressort moral de l'homme soviétique sur lequel l'auteur a bâti une superstructure - l'image de son loyalisme envers le régime. Le fusilier Lopakhine, mineur de choc dans le civil, est un officier politique né 9ui sait traduire en mots simples les dures réalités de la guerre. Cependant ses formules ressemblent un peu trop aux affirmations officielles du Parti pour sonner juste. Selon lui, les défaites sont dues au fait que « tous les soldats soviétiques n'ont pas encore appris à se battre». L'essentiel, dit-il, est de haïr l'ennemi et de transformer la colère et la haine en une arme de victoire. Critiquer les officierssupérieurs n'est pas tout et le troupier doit surmonter ses propres faiblesses ; même le malade n'a pas droit à la maladie, car c'est la guerre. Telle est toute sa philosophie. La bataille ellemême fourmille d'épisodes qui tiennent du miracle. Une centaine d'hommes détruisent des blindés et des avions avec leurs seuls fusils antichar et repoussent à la baïonnette un ennemi très supérieur en nombre et en rmatériel. L'artillerie de soutien a elle aussi une chance extraordinaire: installée loin derrière les lignes, elle fait mouche du premier coup sur les blindés allemands. Quiconque a participé à la dernière guerre n'y verra qu'une image d'Épinal. Et ainsi de suite. Quand les survivants se retrouvent à l'abri derrière le Don, la révolte commence à gronder parmi eux. Au lieu d'obéir et de gagner- l'arrière, ils veulent rejoindre les unités qui poursuivent la lutte sur le fleuve. Seuls vingt-sept d'entre eux ont survécu mais tous, jusqu'au dernier, veulent rester et se battre. Il suffit que leur officier leur vante les vertus de la discipline pour qu'ils changent d'avis. Ils s'alignent devant le poste de commandement de leur colonel qui, blessé mais plein d'énergie, leur adresse un second discours pour louer le grand Staline et prédire la chute de Berlin. Tout cela pendant que les Panzer foncent vers Stalingrad et le Caucase, que l'armée soviétique va de défaite en défaite et que ses réserves sont encore loin derrière le front. Le roman de Cholokhovrejoint ainsi de manière fâcheuse la catégorie des livres patriotards et romantiques pour écoliers. Ses soldats sont tous des héros et leurs chefs sont invincibles. Une magistrale description de la vie des paysans dans · les steppes du Don et une façon vivante et haute -en couleurs de camper des personnages secondaires ne suffisent pas à faire passer l'ensemble. La guerre de Cholokhov est irréelle et fausse. On voit que la nature didactique du réalisme socialiste reste un obstacle presque insurmontable. Les écrivains ne pouvaient traduire les années de guerre vouées à la peur, à la tension permanente et ensuite aux joies de la victoire en tern:ies qui puissentJdonner au lecteur une idée de ce qui s'était réellement passé. Les innombrables Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE barrières élevées par la théorie littéraire officielle restreignaient le champ de vision de l'auteur et l'obligeaient à se mouvoir dans des limites étroites. Il devait enseigner aux jeunes générations les vertus du patriotisme soviétique et le dévouement aux traditions militaires, ce qui laissait peu · de place pour approfondir les problèmes humains et psychologiques. Il fallait éviter à tout prix la_ peur, l'intérêt envers l'ennemi en tant· qu'homme et les manifestations de l'instinct de conservation sous 1es coups de la guerre mécanisée. Cependant l'atmosphère a changé depuis quelques années. Ce qui traduit le mieux l'importance de ce changement c'est qu'il est maintenant possible de réagir contre un patriotisme superficiel et contre les artifices de la littérature traitant de la dernière guerre. Pareille réaction est venue l'année dernière, sous la plume de Victor Nékrassov, écrivain connu pour ses récits de guerre, après une visite du musée de Stalingrad situé au sommet de la colline Marnai, qui fut en 1942 le théâtre de combats sanglants. Le musée et son grand panorama de la bataille heurtèrent Nékrassov par leur caractère surfait et irréaliste. Il traduisit ses impressions dans un essai institulé : « De la présentation de la vie en littérature», où il écrivait: On se sent obligé de demander pourquoi il a paru nécessaire de brosser un tableau qui ne correspond pas à ce qui s'est passé sur la colline Mamaï ... Nos soldats n'ont pas pris d'assaut les citernes de la colline drapeau en tête et le fusil à la bretelle. A-t-on besoin de ce tapage et de ces mensonges ? Sont-ils là pour la beauté? Mais a-t-on besoin de ce genre de beauté? Et qui plus est, est-ce vraiment beau? Le fait que l'essai de Nékrassov ait été publié - prouve que quelque chose a changé : la façon stalinienne de raconter la seconde guerre mondiale cède le pas à une nouvelle manière. A cet égard deux livres parus récemment valent d'être mentionnés : le premier est de Grégoire Baklanov, l'autre de Constantin Simonov. LE ROMAN de Baklanov Un pouce de terrain 2 tend à dépeindre la guerre sans les fioritures de l'idéologie. Contrairement à la sacrosainte recette du Parti, il ne propose pas une vue d'ensemble des événements et n'essaie pas non plus de les expliquer. Ce qui est exceptionnel dans la littérature soviétique. L'histoire est limitée dans le temps et l'espace : elle se déroule à l'intérieur' d'une petite tête de pont soviétique sur la rive occidentale du Dniester en 1944. Les héros sont des officierssubalternes et des hommes . d'une brigade d'infanterie. Encerclés par les Alle- _mandset coupés de leurs camarades par le fleuve, _ils ignorent tout de ce qui se passe en dehors de leur petit réduit. De temps à autre ils essaient d'imaginer co?lment leur propre situation s'im2 •. Piad zemli in Novy Mir, Moscou 1959, n°8 s et 6.
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