344 la santé du grand ~tre, « véritable machine organisée dont toutes les parties contribuent d'une manière différente à la marche: dell' ensemble » 37 • On reconnaît les axiomes dont Comte partira pour créer une religion nouvelle et Durkheim la base de sa méthode sociologique. Mais ce qui est chez Durkheim une méthode explicative des phénomènes sociaux correspond chez SaintSimon et Auguste Comte à une croyance fondamentale: l'individu n'est pas seulement mis entre parenthèses pour les besoins d'une démonstration globale, il disparaît de la réalité; et l'affirmation de son autonomie n'est pour les deux positivistes qu'un concept métaphysique périmé. Devenu un tout organique, la société peut se passer d'un gouvernement de type militaire ou libéral extérieur à elle et le remplacer par un cerveau dirigeant dont les volitions se propagent aux individus à la manière d'un influx nerveux. Les libertês qui subsistent, si elles ne sont pas des symptômes pathologiques, sont comparables aux réflexes étrangers à un contrôle cérébral. Transfert de l'instinct de domination COMMENcToncilier ce point de vue avec l'instinct de domination que Saint-Simon reconnaît comme fort répandu dans l'espèce humaine ? Une société n'est viable que si elle lui ménage des satisfactions, satisfactions qui se sont modifiées dans le cours de l'histoire. Autrefois, pense Saint-Simon, cet instinct a amené le triomphe du fort sur le faible, le vaincu devenant un objet d'exploitation pour le vainqueur. D'où la domination de type militaire, s'exerçant sur un corps social étranger à elle. Le peuple, esclave et ignorant, était incapable d'administrer ses propres affaires ; « les principales forces de la société ont été employées à se maintenir en société » 38 et non à améliorer le sort commun de ses membres. De là provient la nécessité de pouvoirs absolus analogues, en cette enfance de l'humanité, à l'autorité absolue du père sur son fils. L'avènement des sciences positives et leurs applications, dont le but pratique est d'exploiter la nature au profit de l'espèce humaine, a introduit une nouvelle forme de l'instinct de domination. « L'action sur la nature a changé la direction de ce sentiment en le transportant sur les choses 39 • » La conquête des forces naturelles doit donner à l'homme plus de satisfactions et de puissance que l'asservissement de ses voisins. D'où le conflit, capital pour Saint-Simon, entre l'esprit militaire · et l'esprit industriel. Le premier s'est toujours appuyé sur la force, « ingrédient étranger qui 37. De la physiologie, pp. 177 sqq. .38. pe l'organisation ,sociale, XXXIX, p. 126. Néanmoins Samt-S~on pense que. 1esclavage « a été favorable au progrès des lumières, en fourmssant à la classe des maîtres le moyen de s'occuper du développement·_de leur intelligence» (Ibid., p. 114). Engels n'a fait que démarquer cette opinion dans l' Anti-Dühring. _ . 39. L'Organisateur, XX, p. 127. Biblioteca Gino Bianco ANNIVERSAIRES corrompt tout, qui produit la détresse par l'immoralité » 40 , thème qu'Adam Smith et les libéraux anglais ont pu lui inspirer mais qu'il développe jusqu'à ses conséquences ultimes. Il en vient à placer « les esclaves modernes de la profession militaire » 41 bien au-dessous des esclaves antiques utilisés dans la production. Dans la mesure où le peuple échappe au pouvoir militaire, il cesse d'être « enrégimenté » pour être « combiné » au pouvoir industriel ; et quand la « direction » succède au « commandement», le sujet devient sociétaire. Dans l'Europe pacifiée d'après 1815, les rivalités industrielles remplaceront les rivalités militaires au point que « ce ne sont plus les armées qui constituent la force militaire d'un pays, c'est l'industrie » 42 • La domination militaire a été la cause de la stagnation des sciences morales depuis dix-huit siècles, car il n'y a pas, aux yeux de Saint-Simon, de morale commune entre celui qui commande et celui qui obéit 43 • Cela résulte de ce que l'intérêt, source première de la morale, n'est pas le même chez l'un et chez l'autre. Le .:.Progrèsn'est possible que si l'instinct de domination est dérivé vers la possession et l'exploitation de la nature. L'action de l'homme sur l'homme n'est qu'un intermédiaire nécessité par la division des tâches et l'organisation des capacités 44 ; sous le régime industriel, elle n'est plus le but essentiel des activités dominantes comme dans les anciennes sociétés. Avec le transfert de celles-ci, Saint:-Simon énonce « le principe que l'ordre social doit aujourd'hui avoir pour objet unique, direct et permanent l'action de l'homme sur les choses » 45 • Le succès de cette action sur les choses sera la saine mesure de l'efficacité et de l'utilité du nouveau pouvoir - condition qui exclut évidemment que le pouvoir puisse être exercé par les anciennes classes nobles ou oisives. Il « doit être exclusivement confié aux artistes, savants et aux artisans seuls possesseurs des capacités positives qui sont les éléments de l'action administrative utile» 46 • L'arbitraire étant incompatible avec la pratique industrielle et le despotisme avec la science, le nouveau pouvoir est plus comparable à une direction intelligente et raisonnable qu'aux gouvernements traditionnels. Les besoins sociaux déterminant le sens des activités, « la société n'est plus gouvernée que par des principes (...) et l'actton de gouverner est n~e alors ou presque nulle en tant que signifiant action de commander » 47 • · 40. L' ImJustrie, XVIII, p. 79. 41. Ibid., 'pp. 113 sqq. 42. Ibid., XIX, p. 149. 43. Ibid., pp. 30 sqq. 44. L'Organisatei,r., XX, p. 192. 45. Ibid., p. 181• 46. Ibid., p. 181. 47. Ibid., p. 198. Saint-Simon illustre sa conception par ce qu'il appelle la parabole de la caravane. « Menez-nmu où nous serons le mieux et elle [la société] laisse le pouvoir absolu aux guides, quitte à s'en repentir. Menez-nous à La Mecque et elle exige des guides qu'ils prouvent leur. intention • (Ibid., p. 196).
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