Le Contrat Social - anno IV - n. 6 - novembre 1960

W. W. ROSTOW poussaient la société coloniale vers le démarrage. Le ressentiment envers la domination étrangère entretenait le nationalisme ; et finalement des coalitions locales exerçaient une pression qui pouvait imposer l'évacuation. Dilemmes de la société de transition LES GUERREdSu deuxième genre ont tendance à résulter des dilemmes et des possibilités des hommes qui ont accédé au pouvoir sous la bannière de l'indépendance nationale, mais qui sont dès lors responsables d'une société de transition - agitée. On sait déjà qu'une réaction nationaliste sera sans doute au début l'élément unificateur de la nouvelle coalition qui vise à supplanter la société traditionnelle. Une fois au pouvoir, cette coalition doit choisir entre l'affirmation de la puissance nationale sur la scène mondiale, la consolidation du pouvoir central sur les forces traditionnelles qui demeurent dans la périphérie et la modernisation. Il est tentant de dévier une partie du jeune nationalisme vers des objectifs extérieurs, généralement ceux qui paraissent faciles à atteindre : tentative américaine de s'emparer du Canada français ; campagnes de Bismarck contre le Danemark, l'Autriche et la France de 1864 à 1871 ; mainmise du Japon sur la Corée en 1895 ; poussée russe en Mandchourie. A cet égard, les guerres de la Révolution française sont les plus grands exemples d'agression régionale. Ces aventures peuvent contribuer à maintenir la cohésion nationale dans une société où la modernisation soulève de difficiles problèmes intérieurs. Les tâtonnements de Nasser et de Soekarno, à la recherche d'une politique nationale unificatrice en 1955-59, ne sont pas chose nouvelle ; pas plus que les cris de guerre à propos du Cachemire, de l'Iran occidental et d'Israël ou la tendance des hommes politiques des sociétés de transition à brandir l'étendard anticolonialiste. Il est rassurant de constater que ces aventures, associées à la période finale des conditions préalables ou aux premiers stades du démarrage, ont d'habitude fini par se confondre dans l'aventure de la modernisation. L'Amérique après la guerre de Sécession, l'Allemagne après 1873, le Japon après 1905 et la Russie après 1920 furent trop absorbés chez eux pendant plusieurs décennies pour inquiéter le monde. Historiquement, l'âge dangereux vient avec l'approche de la maturité, les nouvelles ressources pouvant être concentrées sur l'expansion extérieure. Un certain décalage dans l'accès à la maturité · aide à comprendre les deux guerres mondiales et la guerre froide jusqu'en 1951. Revenons d'abord en arrière. Après 1871, l'Allemagne, qui avait pris un démarrage remarquable, se mit à marcher vers la maturité. Le Japon, après la restauration Meïji, mit quelque dix ans à asseoir solidement ses conditions préalables, puis connut les premières phases d'une croissance continue. De son côté, Biblioteca Gino Bianco 325 la Russie marcha à partir de 1890 vers un démarrage qui avait un air de famille avec celui des États-Unis un demi-siècle plus tôt. L'arène de puissance du xxe siècle prenait forme. A l'est de l'Angleterre, les nouvelles grandes puissances industrielles étaient l'Allemagne, la Russie et le Japon, l'Allemagne parvenant à la maturité vers 1910 ; et, en équilibre incer~ain sur _le bord ~e l'arène, le nouveau géant, les Etats-Unis, marchait aussi vers la maturité. Mais la poussée de l'industrialisation à travers l'Eurasie septentrionale ne fut pas uniforme. L'Europe orientale et la Chine en étaient encore aux premières phases agitées des conditions préalables. Rattachée à une grande puissance, chacune de ces deux régions pouvait, par sa situation géographique, sa population et son potentiel, changer radicalement l'équilibre des forces en Eurasie. En retard dans l'ordre de croissance, elles ne pouvaient éviter une étroite dépendance. Ce qui devait tenter à l'extrême l'Allemagne ~t le Japon, tour à tour alarmer et tenter la Russie, présenter un danger chronique pour la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. La situation stratégique de ces _derniers pays fut bouleversée par l'extension de l'industrialisation, par la création d'une arène de puissance unique dans l'hémisphère nord et par l'apparition dans cette partie du monde de points faibles qui, à des degrés divers, incitèrent l'Allemagne, le Japon et la Russie à viser à l'hégémonie sur l'Eurasie. La vieille rivalité de la Grande-Bretagne et de la France fit place à la conscience d'un intérêt défensif commun, et les États-Unis devinrent la réserve stratégique de l'Occident. Pourquoi l'Allemagne, dans sa marche à la maturité, ne se consacra-t-elle pas exclusivement à accroître la consommation ? N'oublions pas que dans beaucoup de pays, une réaction nationaliste ambitieuse est à l'origine de la modernisation. Voilà ,en partie pourquoi l'Allemagne succomba en 1914 aux tentations de la puissance. Entre les deux guerres PouR TROUVEuRn lien entre la deuxième guerre mondiale et les phases d~ croissan<;e, il faut d'abord examiner ce qui s'est passé en Occident , entre les deux guerres. Les Etats-Unis avaient sombré dans une crise économique particulièrement grave en raison du problème du plein emploi à l'âge de la haute consommation; jusqu'en 1940, il y eut une majorité isolationniste due en partie à l'obsession des affaires intérieures qui se rattachait à la dynamique des phases de croissance. En Grande-Bretagne et en France, les dirigeants, et dans une certaine mesure le pays tout entier, étaient fascinés non par un passage rapide à l'âge de la haute consommation, mais par le retour à la « normale » d'avant 1914. L'apathie qui en résultait (sentiment d'un déclin des forces accompagné de conflits et de problèmes

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