Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

182 l'a expulsé, après jugement, en février 1952. L'ouvrage est divisé en trois parties : la première est une analyse du système de persuasion tel qu'il l'a connu; la deuxième, tirée de son journal, a trait aux épreuves de son procès et de son expulsion ; la dernière consiste en une analyse de la théorie des communistes chinois sur le lavage de cerveau et son efficacité, complétée par des renseignements sur le sort de l'Église catholique en Chine depuis son départ. Le ton du Père Winance demeure humble, calme et exempt de passion. Il explique comment l'endoctrinement constant et implacable du groupe d'étude amène l'individu « inconsciemment à sa propre négation, à la négation de sa personnalité, sous le fallacieux prétexte que chaque fois qu'il dit " moi " ou " mon " il se rend coupable d'un acte qui relève de l'égoïsme le plus sordide. En pareille situation pouvais-je parler de "mon" droit ou de " mon " opinion? » Le processus de persuasion mène à la destruction de soi, au désaveu d'anciens loyalismes et à une «conversion scientifique» qui aboutit à un dévouement plein d'abnégation au «peuple» ou, pour être plus précis, au Parti. Le Père Winance estime qu'en pratiquant cette technique de persuasion mentale) les communistes jouissent d'un grand avantage qui découle de la nature de l'idéologe marxiste : Car la doctrine marxiste - construction intellectuelle qui possède en apparence l'éclat de l'acier - ne trouve devant elle qu'une masse inorganisée de valeurs, complexes dans leurs délicates nuances de sens, qui paraissent souvent en contradiction les unes avec les autres, et qui n'ont pas été suffisamment élaborées (p. 63). Soulignant que le régime excelle à enflammer les jeunes avec les idéaux de justice, de dévouement, d'héroïsme et de patriotisme, le Père Winance avance quelques raisons pratiques à la morale austère imposée à ses membres par le Parti : Sans vouloir jeter le doute sur ce que d'autres ont pu dire sur le sujet et ne parlant que par expérience personnelle, je n'ai été témoin que d'une politique de discipline et d'intégrité... Les communistes savent bien qu'un jeune homme aime à jouer ce rôle de juge, de protecteur et de champion du bien commun. L'auteur estime que cet appel à l'idéalisme est renforcé par le caractère trompeur et ambigu de la terminologie. Les communistes, fait-il remarquer, «usent continuellement d'un vocabulaire identique au nôtre, mais donnent aux termes anciens des acceptions nouvelles (conformes à leur idéologie)». Stevenson exprime la même idée : Passer la ligne de partage des eaux entre l'Est et l'Ouest, c'est traverser le miroir d'Alice qui changeait la gauche en droite. Dans le jargon chinois moderne, il arrive souvent que la paix signifie la guerre, que la liberté soit en fait l'esclavage, que le mot libération annonce l'invasion. La monstrueuse extension du pouvoir que représente le contrôle total de la pensée laisse BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL confondu. La condition de l'individu décrite dans les trois ouvrages est à bien des égards celle d'une « sous-humanité». C'est ce que rappelle le Père Winance : Il est indispensable de ne pas perdre de vue ce mépris systématique de la dignité humaine si l'on veut porter un jugement sain sur le gigantesque progrès matériel qui frappe les visiteurs bienveillants en Chine. Il serait vain de nier les réalisations spectaculaires des communistes chinois ; mais les visiteurs occidentaux qui les louent sans réserve sont, de toute évidence, soit puérilement naïfs, soit d'un cynisme coupable (pp. 196-97). C'EST PEUT-ÊTRElà un jugement bien sévère à porter sur lord Boyd Orr, quoique à certains égards il paraisse justifié. Son mince volume consigne les impressions superficielles d'un voyage de deux mois en automne 1958 ; il a été écrit avec l'aide de Peter Townsend qui séjourna en Chine de 1942 à 1951. Le livre atteste en tout cas le pouvoir de persuasion des communistes chinois sur un visiteur étranger bien disposé. L'auteur rapporte comme un fait observé les statistiques et les affirmations de ses hôtes avec une naïveté déconcertante. Espérons que le renom qu'il s'est acquis comme directeur général de l'U.N. F.A.O. (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) et qui lui a valu le prix Nobel de la paix en 1949 n'en souffrira pas trop. Dans son avant-propos, lord Boyd Orr déclare franchement avoir «évité la question des libertés civiles» et adopté la «vue la plus favorable des événements, dans la mesure où cela paraissait étayé par les faits». Il pense être «trop expérimenté pour être dupe ». Or son livre contient des déclarations de cette veine : «En général nous avons trouvé que les Chinois sont prudents et modérés dans leurs affirmations, plutôt que le contraire. » Comment aurait-il pu deviner que moins d'un an plus tard les nécessités intérieures obligeraient le régime à réduire considérablement les chiffres de la production alimentaire et de celle de l'acier qu'il avait, lui, pris pour argent comptant et accepté de reproduire ? Boyd Orr peint une Chine idyllique, un pays où il n'y a « aucune trace de disette », où « les gens paraissent sains et vigoureux» et où « les magasins bien garnis» sont «bondés de clients qui ont manifestement de l'argent à dépenser». Il accepte également la thèse selon laquelle jusqu'à l'arrivée de Mao au pouvoir il n'y avait eu aucun progrès alors que depuis il n'y a eu que des succès· spectaculaires. C'est ainsi qu'« à l'exception de la Mandchourie, mise en valeur par les Japonais, la Chine n'avait pas de système de communications digne de ce nom il y a dix ans». On a tout simplement omis de lui dire que 75 % des routes et des voies ferrées en exploitation aujour-

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