rev11e liistorÎ'Jue et critique Je1 faits et Je1 iJl~s Mai 1960 Vol. IV, NO 3 LA Q!llNTESSENCE DU MARXISME-LÉNINISME par B. Souvarine TOUT A ÉTÉ DIT, mais en vain semble-t-il, sur les difficultés de vocabulaire, le retard du langage par rapport aux réalités changeantes, voire l'impossibilité d'exprimer des notions nouvelles autrement qu'en termes anachroniques. Les incoii;vénients, . l~n_i!tésen matière scientifique réservee à ~~s irutl~s, ~.ont particulièrement fâcheux en pohtiq~e ou n unporte qui se mêle de n'importe, q~~>l,et surtout en démocratie mal comprise ou 1 ignorance du plus grand nombre l'emporte sur le savoir ré~l de quelques-uns. On doit le constater une fois de plus, et avec une inquiétude croiss~te, q~.d l'usage courant .de mots ,comme marxisme,, le~- nisme commurusme, prevalant sur des denomtnatio~s moins trompeuses, i~du~ten erreur fun_es!e jusqu'aux hommes d'État qui orientent la destinee des peuples. De toute évidence, le « marxisme-léninisme » dont se réclament les successeurs de Staline et· leurs partenaires chinois prend au .dépourvu les démocraties occidentales où dominent des idées fausses et des vues périmées sur les deux ismes de l'étiquette. L'Hamlet .européen de · Valéry tenant le ~râne ~e Kant sait ~ue « ~ant genuit Hegel, qui genutt ~arx,. qut ge_nut.t.. :> ajoutons Lénine, qui genutt Staline, qui genutt Khrouchtchev pour aboutir, autant qu'on sache, à un Kozlov quelconque. Mais Kant remont~ à Leibniz, qui remonte à Descartes, pour ~ en détacher et faute de discerner ·des solut1<?ns de conthluité dans cette filiation plus ou mo~ns légitime, on risque de .to~t ~onfondre et de ne r1~n comprendre. Pour qui s avere capable de, c~ discernement le marxisme est une chose, d ailleurs complexe 'et variable, le léninisme en est une Biblioteca Gino Biancoautre, plus simple, et le « inarxisme-léninisme » une troisième qui contraste avec les précédentes par des différences profondes malgré les similitudes verbales. Nourris de philosophie allemande, d'économie politique anglaise et de socialisme français, Marx et Engels furent des représentants typiques de la culture occidentale de leur époque où se côtoient les courants majeurs de la tradition et de la révolution. Ce qu'ils ont assimilé de leurs maîtres et devanciers du demi-siècle précédant la révolution de 1848, on n'en finit pas de le découvrir, soit dit sans arrière-pensée péjorative. L'athéisme ni le matérialisme ne leur appartiennent en propre, non plus que les multiples théories (valeur, plus-value, concentration capitaliste, déterminisme économique, paupérisation des masses, lutte de classes, dictature du prolétariat, etc.) que d'aucuns leur font grief tantôt d'avoir conçues, tantôt d'avoir empruntées sans indiquer les sources 1 • L'athéisme, aux acceptions si diverses depuis l'antiquité, « marque de force , d'esprit, mais jusqu'à un certain degré seulement» notait Pascal, ne date pas précisément du Manifeste communiste. Le matérialisme qui se prétend à la fois historique et dialectique contient surtout une forte dose d'idéalisme, n'en déplaise à ses adeptes comme à leurs critiques. Le socialisme pseudo-scientifique opposé aux utopies des précurseurs. s'avère non. moin~ utopique dans la I. Cf. notre Introduction à Deux manifestes, résumant les observations de V. Tcherkezov, Ch. And.Ier, M. Dommanget et G. Sorel sur les sources nombreuses du marxisme, in Contrat social, vol. I, n° 3 (juillet 1957).
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