Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

J. RUEHLE Ayant ainsi incorporé a priori au système de Stanislavski tout ce qui est « artistiquement précieux » chez Vakhtangov et Meyerhold, le texte concluait : La théorie d'un syncrétisme dans l'art mérite aussi peu la considération qu'un retour à la biomécanique de Meyerhold ou au théâtre des années 20 suggéré par certains auteurs. Au congrès même, le ministre de la Culture, Mikhaîlov, parla dans le même sens, bien que de façon plus vague. Une renaissance de « l'âge d'or» du théâtre soviétique fut ainsi étcuffé~, une fois encore. * )f )f LA PREUVE A ÉTÉ FAITE qu'il est impossible de revenir au « théâtre révolutionnaire ». Celui-ci puisait sa force de persuasion et la vigueur de son expression dans l'ardeur des illusions révolutionnaires encore intactes. Il peignait avec sincérité les tourments et les contradictions du temps, les justifiant par la ferveur de sa foi en l'avènement d'un ordre meilleur. Staline et Jdanov détruisirent cet art et ruinèrent le prestige international qu'il avait acquis. Ils sentaient d'instinct que le témoignage révolutionnaire devait se retourner contre le communisme dès que les idéaux héroïques dégénéraient pour devenir la réalité de la société soviétique. D'autre part, tout ce qui avait rendu l'art révolutionnaire des années 20 inacceptable pour les staliniens - son respect de la vérité, sa dénonciation du mal, sa volonté passionnée de changer le monde - l'éloignait aussi de l'époque poststalinienne. Le dégel a montré que toute expression artistique qui professe la vérité sape les fondements de la dictature du Parti. De plus, il n'est pas possible d'accorder aux artistes la liberté de la création en ce qui concerne la / orme de leur œuvre et de leur en dicter en même temps le contenu. Disciples de Hegel et de Marx, les théoriciens soviétiques n'ignorent pas que la forme et le contenu sont inséparables : leur unité est une condition de l'art. La campagne menée par les staliniens contre le « formalisme » ne porta jamais sur les seuls problèmes de forme. Le véritable artiste, poussé par le « besoin de s'exprimer», créera toujours de nouveaux concepts et un nouveau contenu quand il fera reculer les BibliotecaGino Bianco· 171 limites imposées à son art par la forme. La liberté d'expérimentation comportera donc toujours un grand risque pour le régime. Le « théâtre révolutionnaire » est une époque historiquement révolue. Même si le Parti autorisait un libre développement de la vie théâtrale, on n'en reviendrait pas pour autant à l'esprit des années 20. Les artistes révisionnistes ne se sont rangés du côté du « théâtre révolutionnaire » que pour briser les chaînes dogmatiques du stalinisme. En outre, comme l'ont montré les controverses et les œuvres du dégel, ils affluèrent au théâtre de Vakhtangov, rejoignant ainsi un courant que les gens de théâtre, Meyerhold en tête, avaient encouragé à la fin des années 20. Le fait qu'un certain « théâtre révolutionnaire » domine aujourd'hui le monde occidental prouve que cette conception dramatique représente la forme légitime de l'expression théâtrale dans la société démocratique contemporaine. Les méthodes de l'ancien« théâtre révolutionnaire» ne peuvent être employées avec succès même dans la révolte contre le Parti, puisque c'est l'émancipation de l'être humain qui est en cause et non, comme en 1917, une idée révolutionnaire. Toutes les œuvres de la période de dégel, tant en Union soviétique que dans les « démocraties populaires », étaient critiques plutôt qu'émotionnelles; elles concernaient l'individu et non les masses. Le dilemme du théâtre soviétique réside dans la contradiction fondamentale entre la vie de l'esprit et le pouvoir, inhérente à une société totalitaire. Le régime peut certes bannir de l'art toute vérité et la remplacer par des slogans de propagande; mais, du même coup, il vide l'art de sa substance. Son pouvoir de persuasion, qualité qui amena les bolchéviks à « occuper» l'art, a été anéanti par le réalisme socialiste. Le régime peut châtier ou même supprimer les créateurs qui honorent la vérité ; le résultat n'en sera pas l'asservissement de l'esprit, mais une pénurie désespérante d'initiative et de talents. Il est clair que pareil système engendre fatalement des crises. Les artistes, quelle que soit la pression exercée, ne se résigneront jamais à renoncer à leurs aspirations, pas plus qu'une société ne peut se passer longtemps de vie culturelle. C'est cette exigence vitale qui provoqua le dégel, et la crise ne sera pas surmontée tant que le Parti conservera son monopole sur les arts. (Traduit de l'anglais) }UERGEN RUEHLE.

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