• 142 une stagnation hargneuse. N'est-il pas frappant qu'aucun prix Nobel n'ait couronné l'œuvre d'un penseur ou d'un savant élevé à l'école du Coran ? * Jtf Jtf Aux CIRCONSTANCES géographiques et historiques, il convient d'ajouter une considération d'ordre psychologique. Le fédéralisme a de sérieuses chances de durer, voire de s'amplifier, parce qu'il satisfait le besoin naturel qu'a l'homme de chercher sa sécurité dans un cadre social sans y anéantir sa personnalité, de se situer dans un milieu stable où il ait conscience de n'être pas seulement le rouage d'une machine, mais un collaborateur actif de la vie communautaire. Mais les observateurs ne laissent pas de constater l'existence de tendances neutralisant les aspirations légitimes du personnalisme. Ils observent, au sein des fédérations les plus vivantes, un accroissement régulier des compétences du pouvoir central au détriment des pouvoirs cantonaux ou municipaux. Le fait est particulièrement frappant aux États-Unis, au Brésil et en Suisse. Quelles sont les raisons de cet effritement de l'esprit fédéral ? La principale nous semble être l'influence des partis politiques. Ceux-ci, sans doute, divisent les citoyens, mais ils les rapprochent sur un autre plan. L'exemple le plus typique est celui des Etats-Unis _:il n'y existe pratiquement que deux grands parus, le démocrate et le républicain, mais ceux-ci développent à travers tout le pays la même p~opagan~e, répandent les mêmes slogans. Qu'en resulte-~-i~ ? Que, pour le. citoyen amé~icain, les ~ds evenements de la vie publique sont l'élection du président de la République et le renouvellement du Congrès tous les quatre ans. L'ardeur des polémiques en période électorale témoignerait de la ferveur du patriotisme américain comme tel si la participation massive de ce peuple aux de~ guerres mondiales n'en avait fourni une preuve pl~s éclatante ~ncore. ~n. revanche, on ne peut guere parler d un patriotisme du Wisconsin ou du Texas. En Suisse de même, où radicaux catholiques, socialistes mènent campagne par'-dessus les fr<:ntières inté;i~ure~, l'électeur se sent plus attache à la Confederation qu'à son canton. Au_trecause à_ l'effa~ement des sentiments partic~aristes : la circulation chaque jour plus intensive des personnes, des biens et des idées. Aux BibliotecaGino Bianco ~----- LE CONTRAT SOCIAL États-Unis, par exemple, un réseau aérien très dense permet de passer en quelques heures du rivage de l'Atlantique à celui du Pacifique, de la frontière du Canada à celle du Mexique ; en quelque point qu'il s'arrête, le touriste ou l'homme d'affaires américain se sent at home. La même observation s'étend au plan inter1!ati_onal.Tout le monde ne peut pas prendre 1avion pour entreprendre le tour du monde - en beaucoup moins de 80 jours; mais presque tout le monde, grâce à la radiodiffusion et à la télévision, peut à longueur de journée entrer en relations avec n'importe quel point du globe ; le plus modeste des auditeurs se sent alors obscurément citoyen du monde. Qu'on y prenne garde cependant : si la philanth~opie, la charité même peuvent gagner à cette prise de conscience de la solidarité humaine, l'élan des bonnes volontés se heurte à une dure réalité, la persistance dans les relations interna~ionales de la J:J.a~htpolitik, de la politique de puissance. A vrai dire, nombre de petits États, conscients de leur faiblesse, ont renoncé à toute politique agressive ; ils ne recherchent la puissance qu'à titre défensif. Et comme, même armés, leur isolement serait fatal, ils se groupent entre eux ou recherchent la tutelle des plus forts dans des constellations politiques qui peuvent aller de l'alliance simple à certaine forme de fédération. Il en résulte une remarquable simplification de la carte politique du monde actuel. Or cette simplification est ambivalente : si elle permet d'espérer une réduction de la fréquence des guerres entre petits États, elle fait redouter que tout conflit armé n'entraîne l'intervention des Grands et l'explosion d'une troisième guerre mondiale. La meilleure chance que le conflit soit évité est probablement la terreur qu'inspire à ceux dont dépen~ le maintien de la paix l'usage de l'arme nucléaire aux conséquences imprévisibles. Si cette crainte salutaire pouvait prolonger durant quelques décennies, entre les Grands, une coexistence méfiante mais pacifique, et si cette trêve rendait possible une large réduction des armes de toute catégorie, l'accoutumance à la paix ouvrirait à l'humanité la voie pour une organisation rationnelle des relations internationales. C'est alors que l'O.N. U., qui n'est guère encore dans l'ordre politique qu'un forum ouvert à l'exposé des griefs et aux vœux des nations, pourrait être érigée en véritable Fédération des peuples de la Terre. THÉODORE RUYSSEN.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==