Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

CORRESPONDANCE L'appartenance du franquisme aux systèmes fascistes est, en fin de compte, sujette à discussion. Mais la valeur de l'étude est singulièrement diminuée du fait que l'auteur omet précisément toute analyse des cas marginaux. Tout en contestant le caractère fasciste aux régimes de Franco et de Salazar, il l'attribue, également sans preuve ni examen, à celui de Horthy et passe sous silence celui de Dollfuss, appelé à l'époque - à tort ou à raison - le cléro-fascisme. Sa démonstration, parfois brillante, se ramène ainsi à une série de thèses difficilement contrôlables, et son louable effort de discernement se trouve neutralisé en partie par la confusion qui en résulte. PAUL BARTON. Correspondance « Vingt-huit ans après» Un fidèle abonné nous a écrit de Suisse en date du 14 janvier dernier la lettre suivante, qui appelle de notre part une objection et quelques observations qui vont suivre: Je viens de lire le livre de M. Servan-Schreiber : L'URSS vingt-huit ans après. 1931-1959, paru chez Pion. Ce livre, qui aurait dû être objectif, ne l'est pas toujours. On y constate généralement une tendance plutôt favorable aux prétendues réalisations soviétiques, alors que les côtés négatifs de l'expérience ne sont guère qu'effleurés, jamais approfondis. Souvent même l'auteur rejette indûment sur le régime antérieur - qu'il condamne sans s'être donné la peine de le connaître sérieusement - les retards soviétiques. Ayant vécu à Moscou depuis 1899 jusqu'à la première guerre mondiale, puis de 1917 à 1920, j'ai constaté, en particulier entre le manifeste du 17 octobre 1905 et 1914, un développement considérable de la Russie dans tous les domaines ; le pays avait atteint alors un degré de prospérité remarquable, avec un niveau de vie moyen nettement supérieur au niveau actuel, et cela dans la liberté à peu près complète des citoyens, car seul • Sur ce point, nous avons à objecter ce qui suit : les ennemis actifs d'un régime plus ou moins oppressif sont toujours une petite minorité, dont les épreuves ne relèvent pas exclusivement de l'arithmétique. Donnons néanmoins les chiffres qui rendent compte de la répression du mouvement révolutionnaire dans les dernières années du règne des Romanov: Nombre des détenus dans les prisons: 85.184 en 1905; 175.806 en 1910; 180.000 en 1911 ; les chiffres manquent pour les années suivantes ; ceux dont on dispose comprennent la Finlande et la Pologne. Condamnations à mort : 115 en 1913, dont 25 exécutions capitales ; 145 en 1915, dont 62 exécutions capitales ; les chiffres manquent pour 1914; même observation que cidessus pour la Finlande et la Pologne. (Référence : Dr N. A. Roubakine : Qu'est-ce que la Révolution russe? Faits, statistiques, etc. Genève et Paris 1917). Ces chiffres, qui paraissaient énormes à leur époque, sont infimes comparés aux millions de victimes suppliciées par Staline et ses séides à la Khrouchtchev. Il faut rappeler aussi que les exécutions capitales soua l'ancien régime réprimaient des actes terroristes. Les millions d'innocents mis à mort ou déportés par ordre de Staline et de son ~uipe n'avaient fait de mal à personne. ( N.d.l.R.) Biblioteca Gino Bianco 127 un petit pourcentage d'ennemis actifs du régime étaient exposés à des peines allant de l'emprisonnement à la déportation à terme*. Quand l'auteur dit, p. 153, que « ce peuple avait en 1917 de 80 à 90 % d'analphabètes», c'est évidemment faux. La très grande majorité des enfants fréquentaient l'école primaire et savaient lire et écrire. Ce n'est que dans quelques hameaux trop éloignés des villages ou des centres que les parents ne pouvaient pas envoyer leurs enfants à l'école. L'auteur ajoute, p. 158 : « ••• montée impressionnante de la culture, dans l'austérité, de 200 millions d'hommes qui sortent à peine d'un obscurantisme séculaire». Quelle exagération ... P. 171, nous lisons : « Le régime des soviets avait à faire rattraper à un peuple de 160 millions d'habitants un retard de plusieurs siècles... » L'auteur se rachète un peu en parlant plus loin des « souffrances et privations indicibles, [de la] perte de la liberté politique ... » Mais il tempère immédiatement ces lignes par celles qui suivent : « ••• enfin sur le chemin de la connaissance, des satisfactions, du standard de vie, du confort et aussi du relâchement de l'étreinte policière». On ne peut davantage approuver l'auteur dans ses cc comparaisons de prix, de pouvoir d'achat, etc. », toujours trop favorables, qu'il corrige à peine en reconnaissant que cc l'alimentation est plus chère et l'habillement deux à trois fois plus cher que chez nous». Et dans ses conclusions, dans ce qu'il dit de la liberté et de l'égalité, il risque de renforcer dans le public, peu éclairé sur la vraie Russie, une attitude injustement favorable aux communistes. A. V. * )1. )1. Le livre en question n'a pas été envoyé au Contrat social pour compte rendu, cela nous dispense donc d'y prêter attention. Il y a des milliers de livres de ce genre, que des bourgeois ignares et des journalistes peu scrupuleux bâclent après une promenade de trois semaines en Union soviétique et dont on oublie aussitôt les titres ainsi que le nom des auteurs. La lettre de notre correspondant vaut pour quantité de ces écrits au-dessous du médiocre. L'Empire de Russie était en plein essor économique et technique avant la révolution de 1917, l'allure de son développement dépassait celle de l'Europe occidentale et de l'Amérique du Nord. C'est écrit en toutes lettres dans Lénine, dans la Grande Encyclopédie Soviétique, dans Pokrovski, et le lecteur qui s,y intéresse trouvera citations et références dans notre numéro de mars 1959 (p. 65, 2e col.). Aussi Edmond Théry a-t-il pu prévoir dès 1914 que cc vers le milieu du présent siècle la Russie [tsariste] dominera l'Europe, tant au point de vue politique qu'au point de vue économique et financier » (ibid.). Il est donc faux que l'ex-Empire soit redevable de son niveau de vie au régime soviétique, lequel n,a fait que retarder considérablement le progrès véritable, que saigner à blanc la population, que plonger le pays dans la terreur et la misère. Les ignorants et bavards de l'espèce Scrvan-Schreiber n'ont évidemment pas lu Lénine, ni Pokrovski, ni ouvert la Grande Encyclopédie Soviétique. Ils ne savent même pas qui était Edmond Théry. Ils se croient tout permis parce qu'ils ont les moyens de voyager, de se faire éditer, et parce qu'ils sont assez dépourvus de principes pour se commettre avec les nazis du stalinisme. En fin de compte, ils ne réussissent qu'à répandre les sophismes de la propagande communiste et à contribuer aux pires malheurs qui menacent la France.

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