Pages oubliées DE L'INDIVIDUALISME ET DU SOCIALISME par Pierre Leroux PIERRE LEROUX a revendiqué l'honneur d'avoir, le premier en France, fait usage du mot« socialisme». Dans La Grève de Samarez (1859) il écrivait en effet : «C'est moi qui le premier me suis servi du mot socialisme. C'était un néologisme alors, un néologisme nécessaire pour faire opposition à l'individualisme. » Le texte auquel il faisait ainsi allusion avait été publié dans le numéro d'octobre 1833 de la Revue encyclopédique comme préface au cours d'économie politique de Jules Leroux, frère de l'auteur, reproduit dans la Revue sociale de novembre 1845 sous le titre« De la recherche des biens matériels ou de -l'individualisme et du socialisme », recueilli enfin dans le tome premier des Œuvres de Pierre Leroux, édité en 1850 chez Sandré. Dans la réédition de 1850, le texte est accompagné de la note suivante : «Quand j'inventai le terme de Socialisme pour l'opposer au terme d'Individualisme, je ne m'attendais pas que vingt ans plus tard, ce terme serait employé pour désigner la Démocratie religieuse. Je voulais caractériser par ce mot la doctrine ou les doctrines qui, sous un prétexte ou sous un autre, sacrifiaient l'individu à la société et, au nom de la fraternité ou sous prétexte d'égalité, détruisaient la liberté. Ce serait donc ne pas comprendre ma pensée que de voir ici une critique du Socialisme dans l'acception nouvelle donnée à ce mot» (Œuvres, I, p. 161, n.). L'écrit de 1833 consacre la rupture de P. Leroux avec l'école saint-simonienne passée sous la houlette dictatoriale du Père Enfantin, après le schisme de Bazard. Réfléchissant sur les motifs de cette rupture qu'il ne veut pas réduire aux dimensions d'un accident de caractère personnel, P. Leroux en vient à conclure que la doctrine opposée à l'individualisme économique et . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ...... . LIBERTÉ ET SOCIÉTÉ sont les deux pôles égaux de la science sociale. Ne dites pas que la société n'est que le résultat, l'ensemble, l'agrégation des individus : car vous arriveriez à ce que nous avons aujourd'hui, un épouvantable pêle-mêle avec la misère du plus grand nombre. ThéoriqueBiblioteca Gino Bianco politique de l'école de Manchester n'est pas d'essence démocratique. Il est ainsi amené à se poser le problème des rapports du socialisme et de la liberté, en espérant trouver une conciliation. Le «socialisme », au sens de 1833, correspond à ce que nous appellerions aujourd'hui socialisme autoritaire ou despotique. Ce terme vise non seulement le saint-simonisme mais, comme le précise bien l'auteur, également toute doctrine qui lui serait apparentée. Le «socialisme», au sens de 1850, correspondrait au contraire à ce que nous appellerions socialisme démocratique ou libéral. Par «démocratie religieuse », terme qui sonne aujourd'hui assez bizarrement, P. Leroux désigne sa propre doctrine, conciliation de l'individualisme et du «socialisme» au sens premier. Tout serait plus clair si l'auteur avait parlé de «religion démocratique ou démocratie considérée comme une religion». Considérant que c'est cette doctrine qui a imprégné d'une manière diffuse l'idéologie de 1848, il estime, de façon prématurée, que la tendance démocratique ou libérale a définitivement prévalu. L'avènement du bolchévisme, qui a inscrit dans la réalité des faits une nouvelle sorte de socialisme autoritaire alors que le socialisme démocratique demeure surtout un vœu, a donné un regain d'intérêt à la question posée en 1833. L'interrogation de P. Leroux, formulée en termes généraux, continue de préoccuper nombre d'esprits. Il est significatif de constater que le problème des rapports du socialisme et de la liberté remonte à l'apparition en France du mot «socialisme». C'est pourquoi nous croyons intéressant de reproduire un fragment caractéristique d'un texte dans lequel .i.l faut voir plus qu'une simple curiosité linguistique et historique, malgré la marque d'époque. ment vous auriez pis encore; car, la société n'étant plus, l'individualité de chacun n'a pas de limite, la raison de chacun n'a pas de règle : vous arrivez en morale au scepticisme, au doute général, absolu, et en politique à l'exploitation des bons par les méchants, et du peuple par quelques fripons et quelques tyrans. Mais ne dites pas non plus que la société est tout et que l'individu n'est rien, ou que la société
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