70 à contrer certaines méthodes communistes, une cruelle nécessité oblige de s'en protéger autrement que par le dédain ou par des sermons. L'expérience prouve que toute attitude ~1?-~rgique, sans phrases, devant une menace sov1et1que, a eu son effet salutaire, épargnant l'intervention de la force. On l'a vu dans les affaires de Grèce, de Turquie, d'Iran, de Formose. La guerre de Corée n'aurait pas eu lieu si la diplomatie américaine n'avait esquissé une ligne de conduite douteuse. Ces leçons valent pour la « lutte idéologique» déclarée par Khrouchtchev comme suite à la guerre froide. Aucun leadership n'était peut-être facile à concevoir tant que planait un fictif danger de guerre atomique, mais dès que se dissipe l'illusion funeste le champ s'ouvre à la volonté féconde. Il fut un temps où les États-Unis inspiraient un grand respect aux dirigeants soviétiques : c'était avant la reconnaissance officielle du régime communiste. Après quoi, Staline ayant manqué à tous ses engagements et violé toutes les clauses de l'accord conclu avec Roosevelt, le mépris a succédé au respect, pour devenir une habitude. Pendant la guerre mondiale, Staline devait pl~- sieurs fois rendre hommage à la démocratie américaine dont le secours matériel lui était indispensable. Au lendemain des armistices, il a surpris les Américains en reprenant une attitude hostile à leur égard, en reniant l' Atlantic Charter, en déchirant les accords de Téhéran et de Yalta, en sabotant les Nations unies, en dénonçant le plan Marshall, en commençant la guerre froide. Khrouchtchev continue Staline dans un autre style, sous de nouvelles manières. Il ment comme son maître tout en s'adaptant aux conditions actuelles de progrès scientifique et d'équilibre des forces, il se contredit avec impudence en menaçant d'anéantir la planète tout en se plaignant d'une prétendue bravade allemande, par trop insignifiante. Parfois c'est le minuscule État d'Israël qui, apparemment, l'empêche de dormir. L'explication de cette ligne de conduite s'impose : les communistes ont absolument besoin d'ennemis, réels ou imaginaires, à rendre responsables de tous les maux, pour justifier leur système totalitaire. Depuis la dernière défaite de l'Allemagne et du Japon, les États-Unis sont le seul ennemi à leur taille. Si cet ennemi n'existait pas, il leur faudrait l'inventer.· Le même phénomène est visible avec la Chine : elle crée de toutes pièces des con~its sur _sesfrontières alors q~e _tant de problèmes econom1ques et autres la soll1c1tent - Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL à l'intérieur. Un pouvoir absol~ ~e peut se pas~er de faire face à des dangers exter1eurs, ou de faire semblant. Même dans la période présente où, ~om~ntanément, Khrouchtchev met une sourdine a ses campagnes antiaméricaines afin de ne pas compromettre ses chances à la conférence « au somm~t, » en perspective, la presse et la propa~~de ~ov1:- tiques ne cessent d'accabler les « milieux 1mperialistes », les « cercles militaristes », les « sphères belliqueuses», ennemis anonymes faute desquels manquerait quelque chose d'indispensable. Le chancelier Adenauer et les « revanchards allemands » ne constituent pas une fausse menace assez convaincante. Incapables de préciser qui sont ces cc milieux », ces cc cercles », ces cc sphères », les communistes visent en réalité les États-Unis comme tels : pour s'en convaincre, il suffit de regarder les dessins de leurs caricaturistes. Les cc échanges culturels » que Moscou préconise font partie de la lutte idéologique, donc de la coexistence pacifique, donc de la guerre froide. Dès qu'il ne s'agit plus d'inoffensifs musiciens ou danseurs, ni de mathématiques, les « échanges » tournent à la mauvaise querelle et les arguments « bourgeois » ne franchissent pas le rideau de fer. Exemple frappant, celui du professeur W. W. Rostow (M.I.T.) dont The Economist des 15 et 22 août 1959 avait publié les doctes considérations purement historico-théoriques sur la croissance économique des nations. G. Joukov, directeur soviétique des Relations culturelles, répliqua dans 1~. Pravda par un tissu d'injures grossières, reproduites dans The Economist du 7 novembre. W. W. Rostow voulut répondre par une lettre très courtoise que la Pravda n'a pas insérée (Economist du 6 février 1960). Ainsi le lecteur soviétique ignore tout de l'analyse et de l'argumentation du professeur américain, alors que la polémique odieuse de Joukov circule en Occident sans obstacle. De tels « échanges culturels» ne servent qu'à déconsidérer les « bourgeois » aux yeux des parvenus de la révolution pseudo-prolétarienne. On ne joue pas au bridge avec des gens qui jouent au poker et qui mettent un revolver sur la table. La « critique par les armes » étant exclue, il reste les « armes de la critique» pour repousser les assauts multiples du despotisme oriental et imposer, dans la coexistence, une certaine paix idéologique. B. SOUVARINE. ,
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