60 MICHEL KARPOVITCH Le 7 novembre dernier, à Cambridge (Massachusetts), notre ami et collaborateur Michel Karpovitch est décédé à l'âge de soixante et onze ans, après une longue maladie. Professeur à l'Université Harvard depuis 1927, il avait pris sa retraite en 1957, tout en continuant à diriger la revue russe Novy Journal à laquelle collabore l'élite de l'intelligentsia russe en exil. Dans notre n° l du vol. III (janvier 1959) où a paru son remarquable article Impérialisme russe et expansion communiste, on a pu lire une brève notice biographique rappelant son œuvre d'historien et son rôle comme professeur à Harvard. Les États-Unis lui doivent la formation d'une pléiade de spécialistes en matière d'histoire de la Russie, entre autres le professeur Philipp Mosely qui a écrit l'introduction biographique au recueil d'hommages offert à M. Karpovitch sous le titre La Pensée russe et la politique. M. Karpovitch laisse inachevée une œuvre qu'il avait entreprise en collaboration avec G. Vernadski, une Histoire de la Russie en dix volumes dont il devait écrire les quatre derniers. Aucun de ceux qui l'ont connu n'oubliera cet érudit extraordinairement sympathique, d'une aménité charmante et d'un vaste savoir, égalant sa modestie. ÉLIE BORSCHAK O? déplore la mort du professeur Élie Borschak qui enseignait la langue et la littérature ukrainiennes à l'École nationale des langues orientales vivantes, à Paris où il s'était fixé depuis 1919, et où il acheva ses études en Sorbonne. Il y était venu comme secrétaire de la délégation ukrainienne à la Conférence de la Paix et la révolution soviétique ne lui permit pas de rentrer dans son pays. La France devint sa patrie d'adoption et il est décédé à Paris, âgé de soixante-sept ans, le l l octobre dernier, après une longue et douloureuse maladie qui l'empêcha de collaborer à notre revue dont il fut un ami et lecteur fidèle. Élie Borschak a donné de savantes études à la Revue historique et au Monde slave, avant la guerre. Parmi ses travaux édités en français à Paris, il faut citer : Napoléon et r Ukraine (1922); La Paix ukrainienne de Brest-Litovsk (1929) ; une Vie de Mazeppa (1931) · L'Ukraine dans la littérature de l'Europe occidental; (1935) ; L'Ukraine à la Conférence de la Paix (1938) · La Légende historique de l'Ukraine (1949). On lui doit' en anglais, une biographie de Hryhor Orlyk, France'; Cossack General (Toronto 1956), traduite de sa langue maternelle. Arrêté, emprisonné par les Allemands à Paris sous l'occupation en 1940, Élie Borschak fit preuve d'un admirable courage et subit son sort avec une simplicité, une philosophie exemplaires dont témoigne son petit livre : Huit mois à la Santé (Paris 1946). Il n'avait que des amis, qui garderont avec émotion son souvenir. Bib.liotecaGino Bianco· LE CONTRAT SOCIAL Commentaires DANS les ~ettres nouvelles du 23 septembre 1959, une notule signale « un pamphlet du professeur [américain] Dagobert D. Runes : Karl Marx. A World without Jews qui vise à montrer que le fondateur du socialisme scientifique, juif et de famille rabbinique, fut un renégat de sa foi et le plus virulent des antisémites ». Il paraît que l'auteur 1 (professeur de quoi? de ping-pong, peut-être) raconte que, depuis cent ans, les éditeurs de Marx auraient « soigneusement éliminé toute remarque antisémite de la correspondance, des articles et des ouvrages de Marx, etc. ». Ce tissu d'insanités ne mérite probablement que silence, mais à en juger d'après l'histoire récente et encore actuelle, ce qui est moralement et intellectuellement méprisable ne s'avère pas moins politiquement nocif. Le charlatan de la Philosophical Library, entreprise d'édition bassement mercantile de New York ' , ne manque pas d émules en Europe, et les charlatans de partout ne manquent de dupes nulle part. Afin de mettre sur la bonne voie tout lecteur sérieux qui désire ~ s'instruire du thème rebattu « Marx antisémite » on remarquera ici brièvement : ' r. Marx n'était pas juif, son père étant converti au protestantisme (1816) avant la naissance du fils (1818) qui entra dans l'Église évangélique avec ses six frères et sœurs en 1824; 2. Marx n'a pu renier une foi qu'il n'a jamais eue ; 3. Marx ne fut évidemment pas plus antisémite qu'il n'était marxiste, sauf pour les J?hi~stins. de l'espèce runique appliqués à découper un ecrtt de Jeunesse pour en donner une idée fausse. Marx était tout simplement un penseur révolutionnaire de son époque, donc en rupture avec les idées traditionnelles ayant cours au début du XIXe siècle. Son écrit de jeunesse, intitulé A propos de la question juive, commentaire critique de deux opuscules de Bruno Bauer, et publié à Paris dans Deutsch-Franzosische Jahrb~cher en 1814, existe en trois traductions françaises au moms: celle d A. H. Ewerbeck (1850), celle d'Édouard Berth (1903) et celle de J. Molitor (1927). Il est depuis longtemps à la disposition du public en maintes éditions et en plusieurs langues. Marx y traite dans son jargon philosophique la fameuse « question» en jeune-hégélien de la Prusse rhéJ:?-a~e,libre penseur, sans respect pour aucun tabou religieux ou, autre, et dans les limites tracées par Bruno Bauer dont le titre du deuxième ?puscule .(Le! Juifs et.les Chrétiens d'aujourd'hui peuventils devemr libres?) situe assez le sujet dans le temps et le milieu. · Il va. de soi que le Marx d'avant le Manifeste n'était pas le Marx d'après le Capital et que ses vues sur. la condition juive de ses contemporains sont loin d'épuiser la '.< q~estion >> en généi;al, voir~ de_l'analyser de façon satisfaisante dans le cas paruculier. On sait qu'en matière de religion, il n'avait que des notions plutôt sommaires 2 • Mais rien n'oblige d'exhumer des essais que l'auteur n'aurait sans doute pas réédités et dont l'intérêt anachronique se limite à la biographie intellectuelle. _Il_n'est pas vrai que les éditeurs aient« soigneusem~t éliminé tbute remai;que antisémite >> des textes de I. Son _nom ne figure pas d~ns le Directory of American Scholars ni dans le Who's who in Education. 2. Très supérieures cependant à celles de Lénine qui a interprété à contresens la phrase de Marx sur « l'opium du peuple».
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