Le Contrat Social - anno IV - n. 1 - gennaio 1960

14 ration dans sa majorité, il se colore de sentiments humanistes et altruistes réels mais empreints d'un dogmatisme moral qui dévalorise la personnalité. Il est clair que la frontière est mouvante entre l'adaptation nécessaire au travail commun et la servitude volontaire; il n'est pas moins clair que ce comportement rend difficile ou artificielle la sélection indispensable des dirigeants. Les difficultés soulignées par Whyte ne pourront qu'augmenter au cours des prochaines décennies. .. .d l'intégration sociale Cette intégration presque totale de l'homme à la vie de l'organisation, dans quelle mesure la retrouve-t-on dans sa vie sociale et privée ? Whyte a consacré deux cent pages à l'examen de la question, et sa réponse est positive : l'intégration fonctionnelle s'accompagne d'une intégration sociale, que les conditions d'habitat, les relations de voisinage et le besoin de compenser le déracinement individuel ont d'ores et déjà déterminée, et qui ira en s'accentuant. L'auteur s'est livré, plusieurs années durant, à des enquêtes dans les cités résidentielles édifiées depuis dix ans et qui sont pratiquement réservées à la classe moyenne salariée (revenu annuel minimum de 7.ooo dollars). La plupart de ses observations ont trait à Park Forest, aux environs de Chicago. Les travaux de Whyte complètent ceux que Lloyd Warner avait effectués, il y a vingt ans, sur une petite ville de l'Est, Newburyport, qu'il avait surnommée « Yankee City », mais la différence reste considérable. Newburyport est une ville archaïque, en voie de décadence, où toutes les classes (Warner en dénombrait six) se sont socialement et moralement cristallisées et où les coutumes héritées du xv111e siècle se sont transmises tant par de vénérables institutions que par la tradition familiale. Activité économique et existence privée y sont étroitement mêlées. Au contraire, Park Forest est la ville de l'avenir, ville exclusivement résidentielle, à l'écart de toute· activité économique et socialement si homogène qu'on pourrait presque .y voir une communauté « sans classes ». Newburyport est une ville de sédentaires que Warner comparait à une société primitive, Park Forest une ville de nomades. Les cadres jeunes des grandes sociétés sont constamment déracinés, soit par nécessité, soit par principe d'administration. La population de Park Forest est donc extrêmement fluide. Malgré cela, elle se concentre en petits groupes de dix à quinze familles voisines (nombre limité par la dimension des living rooms) qui survivent au renouvellement incessant de ses membres. Les individus passent, le groupe reste identique à lui-même. Après une minutieuse recherche écologique, Whyte s'est convâincu que la base de tels groupes est plus topographique que culturelle. Ils forment Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL des communautés de loisirs et d'entraide si fermées que la vie privée, familiale ou personnelle, est pratiquement abolie. Le goût de la solitùde y est tenu pour une tare si répréhensible que l' « introverti » suspect à ses voisins se sent coupable à son tour et ne peut y vivre longtemps. Ce qui caractérise l'esprit de la classe moyenne ainsi déracinée, c'est son immense besoin de communion humaine,· son horreur de se sentir seule. Hors de son travail, chaque moment de la vie de l' organization man est prétexte à une activité sociale, depuis le bridge jusqu'à la gestion des services publics de la cité. Plus que par les relations de voisinage, relativement cloisonnées, on est frappé par la manière démocratique dont sont administrés les services communs : écoles, collège secondaire, églises, entretien, etc. Bien que la cité ne soit guère qu'un gîte d'étape, elle n'en est pas moins le lieu où s'épanouit l'esprit de groupe, sorte de seconde nature de la classe moyenne salariée. Le groupe n'a plus, comme dans l'industrie., un caractère de nécessité fonctionnelle ; il devient un instrument du bonheur personnel de ses adhérents., l'intermédiaire entre l'individu et le corps social. Le conformisme intellectuel, physique et moral qu'il suscite peut être consiq.éré soit comme une pression au sens de Durkheim., soit comme une attraction au sens de Fourier. En tout état de cause, son analyse dépend alors des subjectivités propres aux individus. La structure des budgets et le genre de vie y sont déterminés, non d'après la fantaisie de chacun, mais d'après des coutumes collectives. Des normes de production et ·de consommation y sont cristallisées : un niveau standard s'établit et lorsqu'une promotion sociale vient à le briser elle provoque du même coup la scission du groupe et l'avènement d'un nouveau réseau de relations. Les manifestations de l'esprit de groupe sont multiples : les relations sexuelles n'y échappent pas davantage que les achats à crédit. Néanmoins, malgré l'enracinement d'une vie aussi conformiste, la communauté d'existence est le siège de graves conflits qui, dans une telle atmosphère., gardent un caractère individuel. La communauté procure à une majorité des satisfactions appréciables mais standardisées suivant les caprices de la mode; en revanche elle est la source d'obligations morales étroites, astreignantes, qui prennent aisément une allure rituelle et deviennent créatrices de tensions lorsque les besoins spontanés de chacun s'y trouvent refoulés. Whyte n'hésite pas à écrire : C'est ainsi qu'ils [les membres du groupe] continuent à mal vivre, hésitants et inquiets, emprisonnés, empoisonnés par 'l'amitié (p. 500). De son côté J.-L. Moreno, le fondateur de la sociométrie., constate que... · .. .la vie sociale a tendance à attribuer un rôle défini à chaque personne de telle sorte que ce rôle l'emporte

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