Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

324 matiquement l'État dit soviétique, renforcé de ses satellites, aux États-Unis d'Amérique. A proprement parler, la coexistence juxtapose; dans l'esprit de Khrouchtchev, elle oppose: c'est là le défi, que d'ailleurs personne ne relève. Comme les dernières inventions dans l'ordre balistique et pyrotechnique rendent la guerre impossible, les comm11nistes se rabattent sur la « lutte », une lutte « économique, politique et idéologique » déjà engagée de longue date contre un adversaire supposé qui, lui, s'abstient de lutter, qui suit paisiblement sa propre ligne de conduite empirique. A l'issue de cette lutte, toujours d'après les gens dont Khrouchtchev est le porte-parole, le vaincu sera récompensé car il prendra le chemin du communisme: il s'agit des Etats-Unis, cela ne fait pas l'ombre d'un doute puisque l'Union soviétique progresse et doit progresser sans discontinuer jusqu'à l'an fatidique (1970) où, paraît-il, sa production industrielle dépassera, par tête d'habitant, celle des États-Unis. Alors le socialisme soviétique s'épanouira dans le communisme et, à leur tour, les Américains profitant de leur déconfiture suivront l'exemple des vainqueurs. Ainsi leur défaite sera pour eux tout bénéfice, à moins de supposer que devenir communiste ne soit un châtiment, ce que ne sauraient penser Khrouchtchev et ses proches. DE CE QUI précède, beaucoup de questions découlent, se posent, se pressent et se chevauchent. Pourquoi la croissance de la production industrielle, dans l'Union soviétique entraînerait-elle de telles conséquences ? Pourquoi pas la production agricole ? Pourquoi la comparer à celle des États-Unis, pourquoi pas à la Suisse ? Pourquoi devrait-elle se poursuivre indéfiniment, au-delà même du superflu ? Pourquoi un pays, pourquoi les pays qui produisent moins qu'un autre seraient-ils tenus de changer de régime, de façon de penser, de manière de vivre ? Pourquoi le «pays du socialisme », à bref délai « du communisme», veut-il que son bonheur si enviable s'accompagne d'une« lutte économique, politique et idéologique» avec un ennemi imaginaire ? Qui a décidé que la production industrielle doive augmenter indéfiniment, sans tenir compte des besoins, et que cette augmentation aille de pair avec le socialisme, puis le communisme ? Pourquoi ne pas envisager, simple hypothèse, de diminuer au contraire la production parallèlement à la réduction des besoins inutiles ou nocifs, artificiels, que l'homme moderne se crée pour· se donner le mal de les satisfaire ? Pourquoi une compétition, pourquoi un défi ? Et enfin, qu'y a-t-il de vrai ·dans cette histoire soviétique de progrès économique. vertigineux qui sert d'aliment à la« lutte politique et idéologique» déclarée au monde non communiste, lequel ne veut nullement lutter, préférant se laisser vivre sous la protection de la force américaine ? (Il va Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL de soi que si la puissance soviétique se résigne, dans cette lutte, au recours à des « moyens pacifiques», les armes nucléaires des États-Unis y ~ont pour quelque chose. La sécurité mi1itaire qui en résulte ne justifie pourtant pas la passivité « politique et idéologique » devant les entreprises d'infiltration et de subversion que la coexistence comporte, de l'aveu communiste.) On peut sans inconvénient commencer par la ·dernière question. Elle relève des spécialistes, qui n'ont pas la tâche facile avec les chiffres et diagrammes soviétiques élaborés en -vase clos, mais qui néanmoins finissent par « approximer » la vérité. Ils s'accordent à constater l'extrême exagération des données numériques mises en circulation à Moscou, lesquelles au surplus correspondent si peu aux réalités visibles. Si des calculs méritent créance, ce sont les léurs, car ils en exposent ouvertement les méthodes à la discussion et à la critique, alors que les statistiques du Gosplan s'entourent de mystère: elles présentent trop souvent des coefficients ou pourcentages là où l'on attend certains chiffres absolus comme points de repère et ne révèlent jamais la manière de les établir, ce qui rend les comparaisons sérieuses impossibles, non moins que l'analyse bien motivée des tendances. A quoi s'ajoute la disparité des indices à confronter, indice « brut » soviétique avec ses doubles emplois, indice « net » du côté occidental. Ces difficultés imposent aux économistes libres des recoupements rigoureux, des supputations prudentes, et obligent de compter avec des marges d'erreur inévitables, mais sans commune mesure avec les déformations ou falsifications dont la propagande communiste submerge le monde. On sait par quel subterfuge, en décembre 1958, Khrouchtchev a dû sensiblement rectifier l' évaluation officielle trompeuse de la récolte en céréales : en imputant la tromperie au seul Malenkov, alors que la responsabilité incombait évidem- • ment à toute la direction collective. Que valent les totaux actuels et surtout les prévisions des taux de croissance de l'ensemble de l'agriculture ? Si une chose est certaine, c'est que les résultats obtenus après défrichement de 30 mi11ionsd'hectares ne sont pas indéfiniment extensibles et qu'ils on.t exigé une mobilisatioµ de matériel et de maind' œuvre ne permettant pas encore de savoir si l'opération a été ou deviendra rentable. Or les causes et les effets en matière de céréales se répercutent nécessairement sur les autres secteurs agricoles, ainsi que dans. l'industrie, tant par l'emploi des machines que pour l'entretien du bétail, tant sur les plantes textiles ou oléagineuses que pour les principales denrées alimentaires. La littérature des plans soviétiques, d'habitude si riche en indices et en courbes, est d'une discrétion insolite en ce domaine. Mais des économistes occidentaux compétents et consciencieux ont démontré naguère que la productivité d'un travailleur de kolkhoze ou de sovkhoze varie du sixième au douzième de celle

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