Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

• LES MUSULMANS SOUS LE COMMUNISME par Richard Pipes 'Asm CENTRALE n'est que l'une des nombreuses et vastes possessions coloniales de l'Union _ soviétique ayant une population en majorité musulmane. Il y a., au total, entre 25 et 30 mi11ions de mus11lmans en URSS. Ce sont pour la plupart les descendants des tribus turkies installées depuis mille ans sur les frontières orientales et méridionales de la Russie, et que le régime tsariste avait conquises entre le xvre siècle et le milieu du xixe. Ils sont concentrés dans trois régions : celle de la Volga et de l'Oural, conquise par Ivan le Terrible au xv1e siècle; le Caucase., acquis dans la première moitié du x1x 0 siècle ; l'Asie centrale dont la conquête, commencée par les armées d'Alexandre II au milieu du xixe siècle., a été achevée par les communistes en 1920-21. La plupart des gens sont étonnés d'apprendre qu'il y a plus de Turcs en Union soviétique qu'en Turquie., et plus de musulmans que dans la République arabe unie. Le régime tsariste laissa à ses populations musulmanes une très large autonomie interne. .Au xv1° et au xv11e siècles., on exerça une certaine pression pour les amener à se convertir à l'orthodoxie, mais les mus11lmans résistèrent et ils finirent., sous le règne de la grande Catherine, par obtenir la liberté du culte. La majorité de la population musulmane continua à se consacrer à l'élevage et à l'agriculture et., dans certaines localités., également au commerce et à l'artisanat. Elle avait peu de contacts avec les autorités russes., à l'exception de rencontres intermittentes avec la police ou les agents du fisc. Cependant., même une population relativement arriérée telle que la population musulmane ne pouvait pas échapper aux effets du levain économique et intellectuel qui travailla la Russie pendant les cinquante dernières années de l'ancien régime. Daos les grands centres tels que Kano et Bakou commença à apparaître, au XIX8 siècle, une classe moyenne musulmane, peu nombreuse mais active,composée pour une part de commerBiblioteca Gino Bianco çants et une autre part de professions libérales, qui s'intéressaient activement à l'amélioration du niveau culturel et du niveau de vie de leurs coreligionnaires. Avec leur appui financier, un groupe de réformateurs de l'enseignement conduits par le Tatar criméen Gasprinski réussit à créer dans toute la Russie, au cours des vingt années qui précédèrent la première guerre mondiale, un réseau très important d'écoles musulmanes réformées. Ces nouvelles écoles enseignaient les matières musulmanes classiques selon des méthodes occidentales et ajoutaient au programme certaines matières laïques qui ne faisaient pas partie de l'enseignement traditionnel musulman. Les professeurs et les diplômés de ces écoles réformées, ou djadides, constituèrent une intelligentsia musulmane, de sympathies essentiellement libérales et sociales, et s'aflilièrent aux groupements d'opposition russes. Le mouvement moderniste, dans son ensemble, fut par la suite désigné sous le nom de « djadidisme ». Il représentait une force cc progressiste», opposée à la direction musulmane orthodoxe et conservatrice, qui ressemblait au mouvement juif Haskalah du siècle précédent. Bien que le mouvement djadide ait été, à l' origine, un mouvement culturel qui s'efforçait d'affranchir les musulmans des contraintes d'un islam sclérosé, il ne tarda pas à acquérir certaines résonances politico-sociales. Cela fut dû au fait qu'après l'émancipation des serfs en Russie (1861), il se produisit un vaste mouvement colonisateur au cours duquel des masses de paysans ukrainiens vinrent s'installer sur les pâturages et les terres arables des musulmans. L'hostilité suscitée par ce mouvement spontané s'exacerba, en 190711, lorsque le gouvernement tsariste, sur l'initiative· du premier ministre Stolypine, mit en train un programme de grande envergure tendant à installer l'excédent de la population agricole russe en Sibérie et dans les régions de la Volga, de l'Oural et de l'Asie centrale habitées par des mus11lmao~. Les djadides devinrent natu- •

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