Le Contrat Social - anno III - n. 4 - luglio 1959

B. SOUV ARINE Mais""Staline intervint à temps. J'avais informé sur-lechamp M. Alexandrovski, ministre de l'URSS à Prague, des informations reçues de Berlin, .complétées par la conversation Mastny- Trautmannsdorf. Ainsi, « un mot échappé ( ?) à Trautmannsdorf », diplomate nazi, avait suffi pour faire comprendre que « Toukhatchevski, Rykov et d'autres ».l,négociaient avec Hitler. Négociaient quoi, et· comment ? Ni Toukhatchevski, ni Rykov, ni les « autres» n'étaient à Berlin : il leur fallait donc des émissaires et les mettre dans le secret ? Ces négociateurs allaient et venaient librement, sous le régime policier le plus dense et oppressif qu'ait connu l'histoire ? Edouard Bénès ne se pose aucune question. Il informe un Alexandrovski qui informe Staline, ce naïf privé d'information, lequel intervient à temps. Sans Bénès, Staline n'aurait eu aucun compte à régler avec Toukhatchevski ? Mais depuis 1934, Staline tuait autour de lui sans merci, et c'est la moitié du corps des officiers qu'il a anéantie. Bénès ne se pose aucune question. On sait de reste comment il a fini par livrer son pays à Staline. Les mémoires de Winston Churchill (tome I, Paris 1948) complètent sur ce point ceux de Bénès, mais d'une façon qui discrédite totalement la version de l'un et celle de l'autre. Voici le passage en question (pp. 295-296) : Pendant l'automne de 1936, le président Bénès reçut un message d'une haute personnalité militaire allemande l'informant que s'il voulait bénéficier des offres de Hitler, il lui fallait se presser, car bientôt allaient survenir en Russie des événements qui permettraient à l'Allemagne de se passer de l'aide des Tchèques. Tandis que Bénès méditait sur le sens de cette allusion inquiétante, il apprit que le gouvernement allemand était en contact avec d'importantes personnalités russes par le canal de l'ambassade soviétique à Prague. Cela faisait partie de ce qu'on a appelé la conspiration militaire et le complot de la vieille garde communiste, qui visaient à renverser Staline et à introduire en Russie un nouveau régime dont la politique eût été allemande. Sans perdre un instant le président Bénès fit part à Staline de tous les renseignements qu'il put réunir *. Peu a près fut pratiquée en Russie soviétique une purge impitoyable, mais sans doute utile, qui épura les milieux politiques et militaires; toute une série de procès s'ensuivit dans lesquels, en janvier 1937, Vychinski, l'accusateur public, joua un rôle si magistral. Bien qu'il ne soit guère probable que la vieille garde communiste ait eu partie liée avec les chefs militaires, ou vice-versa, les deux clans étaient certainement pleins de jalousie envers Staline qui les avait chassés du pouvoir. Peut-être fut-il alors commode de se débarrasser des uns et des autres par la même occasion, selon les règles qui prévalent dans un État totalitaire. Zinoviev, Boukharine, Radek et d'autres parmi les premiers chefs de la révolution furent donc fusillés ainsi que le maréchal Toukhatchevski, qui avait représenté l'Union soviétique au couronnement du roi George VI, et beaucoup d'autres officiers d'un rang élevé. La liquidation ne toucha pas moins de s .ooo fonctionnaires et officiers d'un grade supérieur à celui de capitaine. L'armée russe fut purgée de ses éléments pro-allemands et sa valeur militaire en souffrit cruellement. Le gouvernement soviétique était désormais fortement contre Biblioteca Gino Bianco 201 l'Allemagne. Staline se sentait personnellement redevable envers le président Bénès, et le gouvernement soviétique désirait vivement lui venir en aide, à lui et à son pays, que menaçait également le péril nazi. Bien entendu, Hitler lut très clairement dans les événements, mais, autant que je le sache, les gouvernements britannique et français ne furent pas aussi bien éclairés sur ce qui se passait. Pour M. Chamberlain, pour les états-majors britannique et français, l'épuration de 1937 apparut surtout comme l'épisode d'une rivalité qui déchirait intérieurement l'armée russe, et elle leur donnait l'image d'une Union soviétique coupée en deux par des haines et des vengeances inexpiables. • Il y a quelque raison de croire que les informations de Bénès avaient été préalablement communiquées à la police tchèque par le Guépéou, qui désirait les voir atteindre Staline par une source étrangère amicale. Cela n'enlève rien, toutefois, au service que Bénès rendit à Staline, et peut donc être négligé. De ce tissu d'inqualifiables commérages contradictoires, il résulte : que le complot se tramait à l'ambassade soviétique de Prague, donc chez cet Alexandrovski que Bénès · avait informé pour qu'il informe Staline ; que les mi1itaires et la vieille garde communiste étaient pro-allemands, c'est-à-dire en 1936 pro-nazis; que les massacres commis par Staline, et qu'ont regrettés même Khrouchtchev et l'actuelle« direction collective », ont été utiles ; que Bénès a transmis à Staline des renseignements du Guépéou, donc de Staline; mais que des liens entre militaires et vieille garde communiste n'étaient guère probables; que le méprisable Vychinski, maintenant désavoué à Moscou, a joué un rôle magistral; que l'armée russe a été purgée de ses éléments pro-allemands au détriment de sa valeur militaire ; que Staline, ce cœur pur, contracta envers Bénès une dette de reconnaissance éternelle. Tout ce qu'on peut dire de cette page affligeante, c'est que si Churchill avait voulu se disqualifier comme chroniqueur et historien, il ne s'y serait pas pris autrement. La seule chose à en retenir serait la note ajoutée après coup sur la source des renseignements de Bénès (le Guépéou) qui contredit la phrase annotée mais qui se contredit à la fin:« Cela n'enlève rien, toutefois, au service que Bénès rendit à Sta1ine... » Ce comble d'absurdité offre du moins l'occasion de rappeler que dans les archives allemandes de toutes sortes saisies après la guerre, on n'a pas trouvé un seul document à l'appui de la thèse Sta)ine-Bénès-Churchill. Toutes les assertions, d'où qu'elles viennent, relatives à des relations confidentielles entre les o_pposants russes et les nazis sont en outre démenties par cette constatation probante : aux démarches faites en 1946 auprès du tribunal militaire international de Nuremberg pour que les nazis inculpés soient questionnés sur les relations de leur gouvernement avec les inculpés de Moscou, le procureur soviétique R. Roudenko a opposé un non possumus catégorique autant qu'éloquent. •

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