Le Contrat Social - anno III - n. 4 - luglio 1959

B. SOUV ARINE Il est à présumer que la « direction collective » héritière de Staline procédait par étapes prudentes afin d'étaler graduellement les réhabilitations pour en amortir les effets psychologiques. Le tour de Toukhatchevski devait venir puisque tant de ses« complices» n'étaient plus indignes et puisque Khrouchtchev avait réhabilité en gros ce qui all~t l'être J)~U à peu en détail. Mais la publicatton, en Jwn· 1956, du « discours secret» fit une telle impression dans les pays satellites et produisit tant de gêne dans les partis communistes que l'opération en cours, dite de « déstalinisation » à l'étranger, en fut ralentie, avant que les événements de Pologne, puis de Hongrie, n'incitent à la suspendre. Néanmoins l'impulsion antérieure étant donnée, un texte officiel a paru qui innocente incontestablement tous les condamnés· de 1936-1938. IL s' AGIT du tome 43 de la Grande Encyclopédie Soviétique (Moscou, 1946) qui était sous presse au milieu de l'année où commençait le · lent processus des réhabilitations publiques. Les articles trotskisme et blocantipartitrotskiste-zinoviéviste, dont chaque mot a été pesé dans la sphère supérieure du Parti, définissent à nouveau les griefs officiels envers les condamnés des années 1936 à 1938 en relatant les anciennes querelles intestines, les luttes de fractions qui ont divisé les communistes après la mort de Lénine, et en rappelant les discussions doctrinales d'autrefois complètement étrangères aux conflits de l'« ère stalinienne». Cette version nouvelle de l'histoire soviétique s'arrête à 1929 pour le «trotskisme», à 1927 pour le «bloc antipartitrotskiste-zinoviéviste », c'est-à-dire passe sous silence les dix années au cours desquelles les opposants réels ou· supposés furent exterminés. Elle qualifie d'« antiléniniste » et d'« antiparti » la politique des opposants, ce qui signifie dans le langage employé « anti-stalinien », mais renonce complètement aux accusations de fascisme, d' espionnage et de terrorisme qui avaient motivé la peine de mort appliquée aux dissidents. Elle mentionne « l'écrasement idéologique» de ceuxci, mais ne souffle mot de « l'annihilation physique » déplorée par Khrouchtchev. Elle use à peine des adjectifs « antisoviétique » et « contrerévolutionnaire » au sens banal de divergences de vues entre gens également révolutionnaires et soviétiques, non au sens criminel. Elle ignore l'assassinat de Kirov et s'abstient de termes tels que traîtres, monstres et ennemis du peuple, en usage courant sous Staline (op. cit., pp. 301303). Pour apprécier pleinement la portée du revirement, il n'est que de comparer ces textes à celui de l' Histoire du Parti communistede l'URSS attribuée à Staline du vivant de celui-ci sur son exigence expresse (édition française, Moscou 1949). La section 4 du chapitre XI s'intitule : Biblioteca Gino Bianco 205 « Les boukhariniens dégénèrent en politiciens à double face. Les trotskistes à double face dégénèrent en une bande de gardes-blancs, assassins et espions. Lâche assassinat de S. Kirov». La section 4 du chapitre XII s'intitule : «. Liquidation des débris boukhariniens et trostkistes, espions, saboteurs et traîtres à la patrie ». Zinoviev et ses amis y sont accusés, dans le chapitre XI, d'avoir perpétré « le lâche assassinat de S. Kirov », organisé un groupe « terroriste contre-révolutionnaire clandestin» pour « assassiner les dirigeants du Parti », groupe lié avec « les représentants d'États capitalistes étrangers qui les subventionnaient ». Les zinoviévistes auraient « dissimulé qu'ils s'étaient vendus, avec les trotskistes, aux services d'espionnage fascistes ; dissimulé leur travail d'espions et de saboteurs ». Cette « bande de mercenaires du fascisme, groupant à la fois trotskistes et boukhariniens (...) méritait parfaitement que l'on traitât ses membres en gardes-blancs (...) Les scélérats s'étaient engagés dans la voie des actes de diversion, dans l'espionnage (...) Ils étaient devenus les serviteurs et les agents méprisables des fascistes germano-japonais » (op. cit., pp. 360-361). Dans le chapitre XII, il est dit : « L'année 1937 apporta de nouvelles révélations sur les monstres de la bande boukharinienne et trotskiste. Le procès de Piatakov, Radek et autres, celui de Toukhatchevski, Iakir, etc., enfin celui de Boukharine, Rykov, -Krestinski, Rosengoltz et autres, tous ces procès montrèrent que les boukhariniens et les trotskistes formaient depuis longtemps déjà une seule bande d'ennemis du peuple, sous les espèces du bloc des droitiers et des trotskistes.» Cette fois Toukhatchevski et «etc.» sont explicitement confondus dans la « bande » à laquelle l' Histoire attribue une longue série d'assassinats, de « forfaits (...) perpétrés durant vingt années (...) sur les ordres des services d'espionnage bourgeois de l'étranger», et l'intention de « détruire le Parti et l'État soviétique, de miner la défense du pays, de faciliter l'intervention militaire de l'étranger, de préparer la défaite de l' Armée rouge, de démembrer l'URSS, de livrer aux Japonais la province maritime soviétique d'Extrême-Orient, de livrer aux Polonais la Biélorussie soviétique, de livrer aux Allemands l'Ukraine soviétique», etc. (op. cit., pp. 384-385). Ces imputations sont entremêlées d'injures comme : rebuts du genre humain, pygmées de gardes-blancs, vermine, laquais des fascistes. Il ne reste rien de tout cela dans les deux plus r~cents articles de la Grande EncyclopédieSoviétique où, en fait, les reproches rétrospectifs se réduisent à des désaccords politiques exprimés en langage violent et grossier. Des ordres ont été donnés pour supprimer les assassinats, le terrorisme,l'espionnage,le facisme, le défaitisme, la trahison,les Allemands,les Japonais,les gardesblancs, les ennemis du peuple. C'est une rétractation implicite des réquisitoireset des jugements •

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