Le Contrat Social - anno III - n. 3 - maggio 1959

L. EMBRY dans la nature des choses, et que sa dérivation politique ou politicienne n'est donc artificielle qu'à demi. On s'en accommoderait assez bien si les Machiavels du pouvoir, très conscients des avantages qui leur sont ainsi offerts, ne s'empressaient de mobiliser à leur profit des ressources morales et psychologiques qu'ils infléchissent vers le bas. Vue sous cet angle, l'histoire du marxisme est aussi pathétique qu'instructive. Quoi qu'on pense de la doctrine, on ne saurait contester qu'elle fut dictée en l'âme de Marx par un sincère amour de la justice, pas davantage que Marx dut son triomphe posthume à la qualité progressiste ou prophétique de ses promesses, la société sans classes étant pour lui ce qu'est dans la vision teilhardienne la parousie du Christ cosmique. Mais dès l'origine le ver se glissait dans le fruit, la responsabilité principale incombant, d'après certains auteurs, à l'enseignement de Bako11ninequi, pour mieux préparer un avenir sans nuages, préconisait la destruction du présent et donc de sa légalité. C'est simplifier à l'excès et l'on s'en doute bien ; reste que dans la mentalité révolutionnaire cohabitèrent dès lors deux tendances dont on ne sait plus bien laquelle est au service de l'autre. La première conduit la pensée ou plutôt l'imagination vers un futur paradisiaque, tandis que la seconde fait accepter les impitoyables fatalités qu'on dit inhérentes à la période de· transition. Le terrorisme se combine au socialisme utopique sous prétexte que le moyen et la tactique ne peuvent se dissocier du but ; la force de la pesanteur et la tyrannie de la dia-· lectique ont chance de faire tomber l'action pratique au niveau des exigences présentes en la délivrant d'avance de tout scrupule moral. A la Jimite, le sadisme de la destruction conquiert l'âme et ne laisse subsister du programme utopique qu'un vague rougeoiment ; Dostoïevski nous dispense d'insister, puisqu'il a porté l'image des terroristes russes jusqu'à l'absolu des vérités shakespeariennes. Dans les pays de vieille culture, le socialisme fut conservateur, en ce sens au moins qu'il ne voulut pas rompre délibérément avec les règles fondamentales du droit humain; il n'excluait pas l'emploi de la violence, mais s'efforçait de le limiter et de le conditionner. Né en un tout autre climat, se développant dans la clandestinité, le bolchévisme rompit très vite avec ce qui n'était pour lui que formalisme bourgeois et il ouvrit la porte aux intrusions terroristes. On a cent fois cité les textes où Lénine recommande la ruse et, s'il le faut, la violence physique pour se défaire de ceux qui retardent la marche du prolétariat. Dans un opuscule consacré à la morale communiste, Trotski donne aux mêmes thèses une forme plus élaborée ; il proclame sans ambages que la vertu du combattant révolutionnaire diffère radicalement des normes que voudrait imposer le conservatisme bourgeois, lequel n'exprime rien de plus qu'une défensive hypocrite. Que la fin justifie les moyens, c'est évidence Biblioteca Gino Bianco 133 pragIIJ.atique et non point scandale ; l'instauration de l'État communiste suppose une guerre totale et commande le recours à n'importe quel moyen. On comprend que la distinction entre le présent et l'avenir n'est plus, à beaucoup près, un simple jeu dialectique ; elle conduit à d'effrayantes réalités, l'avenir exigeant le sacrifice du présent. Une fragile sauvegarde subsistait pourtant en ce sens que le sacrifice des vies humaines et des lois morales ne devait pas excéder la période révolutionnaire, la phase de la guerre civile et de la dictature prolétarienne. Qui n'est édifié aujourd'hui quant à la valeur de cette garantie ? Puisque la révolution est permanente, puisqu'il faut, en dénonçant les plans d'agression de l'impérialisme capitaliste, promouvoir un autre impérialisme plus jeune et plus virulent, le socialisme n'est plus qu'un lumineux mirage, et le présent reste soumis à la loi d'airain du conflit multiforme ; le mensonge, l'imposture et la tyrannie sont q.es armes maîtresses dont les chefs du communisme mondial ne peuvent plus se passer et qu'ils n'envisagent nullement de remettre au râtelier. Les conséquences sont patentes et l'on dispensera de les décrire une fois de plus ; mais il faut bien se tourner vers les progressistes pour savoir d'eux si leur mansuétude va persister, s'ils excuseront les forfaits en faveur de problématiques réussites dont ils seraient la rançon. CONVENONS que rien n'est simple et qu'on doit se garder de trancher le nœud gordien d'un coup d'épée. B. Souvarine a cité très opportunément B. Pasternak afin qu'on sache que l'homme n'est pas fait pour se préparer à vivre, mais pour vivre. L'inestimable mérite de la formule vient, comme on dit, de son contexte historique ; alors que des peuples soumis aux plus dures contraintes sont gavés de promesses illusoires, elle résonne noblement et profondément, elle maintient les droits du bon sens et de la franchise, elle ouvre une brèche libératrice dans le mur des conventions. Pourtant nous nous garderons de croire que les deux termes de l'aphorisme sont partout et toujours en complète opposition ; il n'est pas exclu que se préparer à vivre, à bien vivre, soit aussi la meilleure manière de vivre, la plus féconde et la plus heureuse. Il va de soi que le travail du père est en partie au moins dédié aux enfants, que le dévouement et le sacrifice ont leur place marquée dans l'économie de nos sociétés, que le vouloir-vivre existentiel est cause de perdition. Substituons donc à une logique trop abstraite un examen plus nuancé des réalités. Mais qu'avons-nous à chercher ? Tout a toujours été dit. On a enseigné pendant vingt siècles que l'homme est ordonné à sa fin et, de cette admirable définition, on déduit que •

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