120 par une guerre entre pays du collectivisme bureaucratique et pays capitalistes. Je vous laisse imaginer ce qu'il m'en coûtait de faire fond sur les fascistes, mais ils devenaient inéluctablement des alliés anticapitalistes. J'ai écrit dans ce sens et, d'autre part, les grands chefs passèrent à l'action qui aboutit au traité Hitler-Staline de 1939. Entre temps je continuais mon film de pensées et m' aperçus bientôt que le fascisme était lui aussi une synthèse historique, mais de recul. Il en était donc autant du bolchévisme. Ayant vu que Staline était prêt à fasciser l'Europe, je levai le camp et me rendis en France et en Angleterre pour publier mon livre et dénoncer le péril fasciste-soviétique qui menaçait l'Europe et le monde. Naturellement on ne me croyait pas et lorsque les journaux parisiens annonçèrent : « Londres et Paris en face de Berlin et Moscou» ... , les politiciens dirent : « On savait ... » Moi, j'avais su et j'ai connu alors toute ma souffrance physique et morale. Il y avait donc des phases de recul dans le développement social; en URSS le socialisme a échoué faute de connaissances économiques. On n'a pas appliqué un système économique socialiste que personne n'avait réellement cherché et se trorrJ,perdevenait fatal. Inéluctable, même, lorsque furent sanctifiés des maîtres qui ne pouvaient tout prévoir et· connaître et qui, à eux seuls et sans expérience, ne savaient résoudre le plus grand problème de l' huma- . , nite. Je suis encore là, Georges Henein, on ne m'a pas « raflé»; j'ai reçu des coups qui, après vingt ans, n'ont pas fini de me meurtrir, mais on ne m'a pas cassé en deux, j'ai tenu bon et poursuivi mon œuvre, tout seul naturellement, et je crois être allé bien loin. Ce qui m'a fait le plus de mal, c'est la bêtise et la méchanceté des camarades. Trotski est le plus excusable, bien que sa faute ait fait perdre vingt ans. Au moins, il a lancé la théorie du « collectivisme bureaucratique », et il est mort obsédé par les arguments de l'opposition de gauche, a dit sa femme. Mais que penser du renégat James Burnham? Il a simplement plagié la Bureaucratisation du Monde, il en a fait The Managerial Revolution. Lui, il avait bien compris, mieux que Trotski, mais il s'est servi seulement du côté négatif et du premier stade de la théorie du « collectivisme bureaucratique». Ma conclusion annoncée à la fin du livre, tourné court - et pour cause, - librement exprimée à Paris dans la préface, il a voulu l'oublier. Pour moi tout était à refaire. Trotski a mal compris ou il n'a pas voulu comprendre ; refaire ne veut pas dire que tout soit perdu. Malheureusement on en est encore là, tout est à refaire; sans une nouvelle plate/ orme théorique fondée sur le principe fondamental du marxisme, mais qui tienne compte des expériences historiques et d'où découleraient les perfectionnements et les prolongements nécessaires, le socialisme est perdu à jamais. J'ai suivi sa dégénérescence la mort dans l'âme, mais la conscience tranquille. Bruno Rizzi. Lettre de Hal Draper (Oakland, Californie, USA) : Oakland, Ca/if., 21 janvier 1959 Au sujet de Bruno R., la nouvelle de sa mort était exagérée; il est bien vivant. J'ai passé quelques jours avec lui l' a_nnéedernière, dans sa villa solitaire qui a vue sur le lac de Garde. Nous avons parlé de son passé et des circonstances dans lesquelles il a écrit son livre. Voici quelques faits le concernant. BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL Pour ·moi comme pour M. Henein, le nom de Bruno R. était resté longtemps celui d'un croquemitaine évoqué par Trotski dans sa polémique contre une tendance du groupe trotskiste américain. En 1939, lorsque Trotski et son partisan américain Cannon élevèrent la voix « en défense de l'Union soviétique » à propos de l'agression de Staline contre la Finlande et la Pologne, bien des gens parmi nous se révoltèrent. Nous étions une minorité pour affirmer que la guerre m.enée par Moscou était impérialiste, et qu'aucun socialiste ne devait prêter appui aux impérialistes, qu'ils fussent capitalistes ou staliniens. Ainsi que le mentionne M. Henein, l'ouvrage qui consacre le nom de Bruno R. n'est autre que cette polémique de Trotski dirigée contre nous, et. consignée dans le livre In Defense of Marxism, où l'auteur se porte au secours d'un prétendu marxisme. Afin de nous faire sentir l'« énormité » de notre hérésie, et nous induire à l'abandonner, Trotski affirmait que celle~ci nous entraînerait également à renoncer à la théorie selon laquelle la Russie est un « État ouvrier». (C'était vrai : quelques-uns parmi nous avions déjà rejeté cette théorie ; et un an après la scission, nous allions tous la répudier explicitement.) L' argumentation de Trotski se développait ainsi: renoncer à la conviction que la Russie est un « État ouvrier », c'est ouvrir la porte aux pires aberrations, telles que... Et là précisément il montrait du doigt un livre qui venait de paraître et dont personne parmi nous n'avait entendu parler : la Bureaucratisation du Monde, par Bruno R., où le stalinisme, le fascisme et le New Deal étaient classés sous un seul et même nom de « collectivisme bureaucratique». Ce n'est qu'en 1948 que nous pûmes déterrer ce livre. En septembre de la même année, j'eus le plaisir de publier, dans The New International dont j'étais alors le rédacteur, une analyse critique très complète de l'ouvrage, par James M. Fenwick, intitulée The Mysterious Bruno R. Elle en constitue à ce jour le seul compte rendu exact • • ayant Jamais paru .. En 1956 je reçus soudain, en tant que rédacteur de Labor Action, une lettre d'Italie signée Bruno Rizzi. Car Bruno R. avait enfin lu l'article de J. M. Fenwick et constaté à son grand étonnement qu'il existait en Amérique des socialistes qui parlaient de la Russie stalinienne comme d'un « collectivisme bureaucratique ». ( En fait, nous avions usé de ce terme dès 1941.) J'échangeai quelques lettres avec lui, puis notre correspondance s'interrompit. Il se passa plus d'un an avant que j'eusse l'occasion de lui rendre visite chez lui, avec ma femme, au cours d'un voyage en Europe (avril 1958). Par hasard nous le trouvâmes à la maison ; car Rizzi . est un voyageur de commerce souvent absent et il se déplace beaucoup à l'étranger. C'était ainsi déjà en 1939. Il est donc inexact de dire qu'il fut alors un « antifasciste italien réfugié en France». Au contraire, il vivait ouvertement en Italie la plupart du temps, quittant le pays et y rentrant sans difficultés. Du reste la police de Mussolini le connaissait fort bien. Il avait publié à Milan, dès 1937, un livre intitulé Dove va l'URSS ? et signé de ses nom et prénom ; livre qui naturellement reflétait ses vues politiques. Toutefois, le gouvernement fasciste fit saisir l'ouvrage, car - comme l'écrivit Rizzi - ledit gouvernement « ne comprenait certainement pas le véritable objectif de notre œuvre ». L'ambiguïté à laquelle il fais ait allusion était fort réelle puisque selon la théorie de Rizzi le fascisme se trouvait être dans la ligne du progrès social. Rizzi n'a jamais appartenu au mouvement trotskiste. Il est vrai qu'à Paris (aux alentours de 1938, si je ne me trompe) il avait fait une demande d'adhésion ; mais les réfugiés italiens trotskistes, ayant eu une conversation avec lui, conclurent, ou du moins craignirent qu'il ne s'agît d'un espion fasciste. (Lorsque Rizzi lui-même me
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