46 l'analyse, même superficielle, du chapitre le plus important de leur économie, à savoir le budget. La nature même des statistiques soviétiques prête à controverse. D'aucuns, représentant une tendance extrême mais peut-être la moins dangereuse, les croient toutes fausses. D'autres soutiennent qu'elles ne sont pas fausses mais que leurs imperfections reconnues relèvent de faiblesses méthodologiques. En fait, les statis- . tiques soviétiques vont du correct au faux en passant par toute la gamme intermédiaire des falsifications : dissimulation des procédés de calcul, du détail de ces calculs (pour le revenu national, par exemple, un seul chiffre publié par année), changements fréquents et inattendus dans les méthodes, commentaires sciemment employés pour brouiller les pistes augmentent encore considérablement -1es difficultés. Le degré de déformation dépend en premier lieu de l'importance du problème traité pour la propagande soviétique, de la distance qui sépare la réalité des désirs des dirigeants ou de ce qu'ils veulent faire passer pour réel. De plus, et cela peut servir de guide, les statistiques exactes ayant une plus grande valeur de propagande que les fausses, les falsifications déclinent en période favorable au régime et croissent dans les périodes moins favorables. L'idée selon laquelle toutes les statistiques soviétiques seraient fausses est absurde. La défendent seulement ceux qui n'ont pas compétence dans ce domaine ou ceux qui, par attitude antisoviétique, donnent libre cours à leur fantaisie en décrivant ce qui se passe - ou ne se passe pas - en URSS. C'est évidemment beaucoup plus facile que d'accomplir l'effort nécessaire pour séparer le bon grain de l'ivraie. · La croyance que les statistiques soviétiques ne sont pas falsifiées, autre extrême, n'a pu naître et croître qu'au temps où l'Occident faisait ses premiers pas dans l'étude de l'économie de l'URSS. C'est pour des raisons n'ayant aucun rapport avec l'esprit scientifique que cette idée a pu survivre jusqu'à ce jour. Si le travail des spécialistes de cette tendance .n'est pas entièrement sans valeur, c'est qu'ils .ont su dans une large mesure passer outre aux données officielles. La plupart des statistiques soviétiques, autant qu'on en dispose, sont correctes. Par exemple celles qui ont trait aux transports et à la production industrielle proprement dite semblent presque entièreme~t ~xactes. Sur ~s~p~riJ.ci~s. cultivées et sur le betail, elles n'ont jamhls ete seneusement contestées (peut-être faute de pouvoir les prouver trompeuses). En revanche, la plupart des statistiques qui rendent compte de quantités additionnées~ comme les indices du revenu national et ceux de la production industrielle, s'avèrent incorrectes. Ce sont précisément celles qui intéresseraient le plus de gens. La falsification atteint des proportions astronomiques en matière de salaires et de revenus Biblioteca Gino Bianco L'EXP2RIENGE COMMUNISTE réels. Khrouchtchev a lui-même admis dans son discours de mai 1958 (Pravda du 10 mai) à propos des textiles et des chaussures que les grandes réalisations industrielles de l'URSS n'avaient pu être obtenues qu'au prix d'immenses sacrifices imposés à la population. Néanmoins on fit en sorte de prouver par des chiffres une énorme augmentation des salaires et des revenus réels des paysans. On annonça la nouvelle extravagante que dans la seule année 1948 les salaires réels avaient plus que doublé, bien que cela fût matériellement impossible (la croissance réelle n'était probablement pas supérieure à 15 %). En 1939 déjà on avait revendiqué un taux d'accroissement identique pour la période du deuxième plan quinquennal alors qu'une augmentation de 25 % eût été plus près de la vérité. A l'appui de cette prétention, les recettes commerciales de l'État et· des coopératives en 1928-40, dont la croissance en prix constants n'avait guère dépassé 50 %, furent vantées comme s'étant multipliées par 4,6. • 1 • >,. .• - . - EN FAIT, les falsifications et les exagérations affectent l'économie soviétique tout entière. Un exemple frappant sera celui du tableau présenté dans un recueil officiel, l'Agriculture soviétique (Moscou, 1939), reproduit en 1948 par M. M. Lifits, ministre du commerce, dans sa brochure le Commercesoviétique. Il montre une croissance rapide des ventes par tête réalisées par les paysans sur les plus importants produits de consommation en 1933-38. Le tableau ne laisse pas douter qu'il s'agisse d'évaluations quantitatives. Or, après plusieurs années de recherches, l'auteur du présent article découvrit qu'elles étaient faites en roubles à pouvoir d'achat rapidement déclinant. Depuis 1946 l'économie soviétique révèle des taux élevés de croissance. Avant la guerre, ceux des années 1934-36 étaient seuls du même ordre. La période .des grandes «purges» ..de 1936-40 fut de stagnation complète ; celle de la collecti- .visation à outrance jointe à la poussée de l'industrialisation (années 1930-32) se caractérise par une baisse rapide du taux d'accroissement. Ainsi, comme l'on pouvait s'y attendre, les statistiques concernant les périodes favorables au régime contiennent-elles des exagérations relativement modérées, parfois pas d'exagérations du tout. D'autre part, celles qui concernent les périodes défavorables sont en règle générale immensément amplifiées. Les plus stupéfiantes exagérations se révèlent qans les indices des rubriques les plus importants et à longue portée (revenu national, production industrielle, investissements) qui •incorporent les exagérations précédentes.* . . li* Les statistiques concernant les années pos~éricures à 1951 sont plus dignes de foi que celles de 1940-50. Les taux de croissance pour 1946-50 ont été très élevés, niais les privations infligées à la population furent alors énormes, et c'est une raison pour les dirigeants de ionfler les chiffres. :
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