38 tique d'oppres·sion qui avait pesé sur eux durant des siècles et appartenir à la communauté des nations occidentales civilisées. 67 La révolution , . . . etait rmmmente. COMMENTER pleinement les multiples aspects et ramifications de la construction de Plékhanov serait tâche trop vaste pour être tentée ici. Mais au moins quelques remarques s'imposent. Il semble que l'interprétation de Plékhanov comporte beaucoup d'éléments convaincants et beaucoup d'autres qui sont suggestifs. En dépit dè récents efforts pour établir une identification plus étroite entre la culture russe et l'occidentale 68 , certains aspects de la vie russe paraissent plus intelligibles quand on les voit historiquement comme ceux d'une civilisation foncièrement non occidentale 69 • De plus, l'analyse de Plékhanov, par contraste avec celle de divers auteurs dont il met les recherches à contribution, avait l'avantage de la perspective. Alors que, dans l'ensemble, ces auteurs ne s'intéressaient qu'à la Russie et l'étudiaient de l'intérieur, lui la voyait constamment par rapport à d'autres configurations sociales, manière de voir qui lui donnait des avantages sur les autres. Non content de répéter simplement les quelques références de ses maîtres Marx et Engels à la Russie comme à une société orientale, Plékhanov a manifesté une véritable liberté d'esprit en utilisant les travaux non marxistes afin de développer sa conception. Adversaire déclaré de l'éclectisme mécanique, il s'est montré fort habile à réduire les matériaux provenant de sources diverses à son schéma à la fois persuasif et conforme aux principes essentiels du matérjalisme historique. Quand il emprunte des complexes psychologiques et institutionnels à un système socio-économique donné, son éclat et son originalité apparaissent en évidence. D'autre part, il y a dans· sa construction his- . torique quelque chose de nettement schématique, notamment .en ce qui concerne les périodes anciennes de l'histoire russe. Là comme sur les faits ·de la vie sociale et économique dans les différentes sociétés orientales, il trahit une pauvreté de connaissance_s. Par exemple, sa conception du schéma fondamental des choses sur lequel en Russie les souverains centralisateurs bâtirent ' leur despotisme est vague à l'extrême. Son idéalisation nnplicite des co~ditions d'existence populai~e a':ant_l' ~~sement. de ce despotis~e !1-' e~t guere JUsttfiee par les faits. De plus, 11 redwt '67. C'est le leitmotiv de l'argument de Plékhanov dans b;.iucoup d'articles ; mais voir particulièrement ibid., pp. 2If-309, . '68. W. Weidle : La Russie absente et présente (Paris, 1949); G.· Barraclough : History of a Changing World (Norman, 1956), pp. 41, 185-202. 69. Pour une courte étude récénte dans cet esprit, voir V. M. Dean : The Nature of the Non-Western World (New York, 1957). BibliotecaGinoBianco DÉBATS ET RECHERCHES pratiquement la société orientale à deux termes, le despote et la grande masse paysanne, sans accorder l'attention voulue à l'appareil par l'intermédiaire duquel le despote dominait la vie nationale et perpétuait son pouvoir . . Si certains de ces défauts peuvent être imputables à la pénurie relative d'études sur ces sujets à son époque, .on peut aussi en rendre en partie responsable la méthodologie de Plékhanov. Malgré tous ses dons, il avait tendance à errer par apriorisme en opposition à l'empirisme, et il était enclin au raisonnement déductif plus qu'il ne sied à un spécialiste des sciences sociales. Ainsi, ayant noté des similitudes entre l'ancienne Russie et certaines sociétés orientales, il tend à les identifier en oubliant des différences sensibles entre elles. Pareillement, ayant adopté l'idée de l'occidentalisation de la Russie, il incline à perdre de vue les particularités de son pays qu'il s'attendait évidemment à voir transformé par le capitalisme en une réplique virtuelle de la société occidentale. 70 · Un autre de ses défauts tenait au mélange en lui du savant impassible et de l'idéologue révolutionnaire. En cette dernière qualité, Plékhanov se concentrait ouvertement · sur les éléments dynamiques dans la vie sociale et sur les contradictions apparentes dans les relations sociales. Inévitablement, cela causait une certaine déformation de l'optique, une vue unilatérale, une tendance à surestimer l'ampleur et le rythme des changements. Quant à la perspicacité de Plékhanov comme interprète du passé de la Russie, les opinions peuvent différer. Mais sans nul doute sa sous-estimation de la force de la tradition, alliée à sa tendance rationaliste d'user de concepts universalistes qui estompent les différences entre sociétés, et sa croyance marxiste aux pouvoirs miraculeux des changements économiques faisaient de lui un mauvais prophète. j En 1905, la Russie eut une révolution avortée. En 1917 vint un bouleversment dont les ressorts tenaient aux conditions particulières à la Russie et absolument différent de ce que Plékhanov ·avait prédit pendant trente-cinq ans, phénomène sans équivalent à l'Occident. L'histoire, déesse qui selon Plékhanov portait inexorablement les prophéties marxistes vers leur réalisation, lui avait joué un tour cruel. Car la révolution installa au pouvoir un régime qui devint bientôt, du moins de l'avis de certains érudits 71 , une version moderne du « despotisme oriental » que Plékhanov croyait mort et enterré dans le passé de la Russie. (Traduit de l'anglais) SAMUEL H. BARON 70. Une critique plus étendue dans le même sens est présentée dans notre article « Legal Marxism. and the "Fate of Capitalism " in Russia », American and East European Review, XVI (avril 1957), pp. 113-26. 71. Le Ptofesseur Wittfogel est un zélateur éminent de cette thèse. Mais chacun peut discerner sans peine des ressemblances entre la « société orientale» et les totalitarismes modernes.
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