Q!I'EST-CE Q!IE LA DÉMOCRATIE ? I . par Bertrand de Jouvenel En octobredernier, une conférences'est tenue à Rhodes sous les auspicesdu Congrèspour la Liberté de la Culture pour examiner « les problèmesdes gouvernementsreprésentatifset des libertéspubliques dans les États nouveaux»~ Parmi lesparticipants, Raymond Aron, Germaine Ti/lion et Bertrand de Jouvenel apportèrent une -- E QU'EN Occident nous appelons démocratie est une combinaison de trois· éléments. Le premier est l'idée d'« autogouvernement » avec la participation de tous, dont le modèle a été offert par l'assemblée du peuple d'Athènes et qui peut s'appliquer à des communautés très restreintes, mais qui à l'échelle des nations très peuplées n'est qu'un mythe - un mythe d'ailleurs puissant. Le second élément, c'est l'idée des «garanties de sécurité et des possibilités de développement» de l'individu assurées par une protection à l'égard des autres citoyens et des pouvoirs publics : ainsi apparaît la mission protectrice du gouvernement comme fondement de son autorité; cette autorité peut à son tour être utilisée contre les « garanties de sécurité et les possibilités de développement », lesquelles ont donc besoin de protection contre le gouvernement, c'est-à-dire contre là force protectrice elle-même. Le troisième élément, c'est l'idée de « représentation », histori9uement liée à la notion même d'existence individuelle, mais liée aujourd'hui à la personnification fictive de la COD11J'IUDauté. Les principales institutions occidentales se sont formées alors que « quelques-uns » gouvernaient « tout le monde ». Dans ces conditions, le devoir de ces « quelques-uns » de protéger « l'un » contre « l'autre » était clairement défini ; mais le risque de voir ces « quelques-uns » opprimer u tout le monde » était égalementapparent Biblioteca Gino Bianco contribution française à la discussion où prirent part Ignazio Silone, Mr. Galbraith, M. Myrdal, Walter Reuther et d'éminentes personnalités des pays d'Asie et d'Afrique. On lira ci-après la première partie de l'exposé de Bertrand de Jouvenel, traduit ici de l'anglais. La fin sera publiée dans notre prochain numéro. et des mesures furent prises contre ce danger. Le souci de protection de cc chacun » est le trait distinctif des nations occidentales ; de lui procèdent de nombreux caractères auxquels nous sommes attachés comme à des marques de la démocratie, même s'ils sont apparus à des époques que nous considérons généralement comme non démocratiques, quand le terme de «démocratie» n'était pas en honneur. Ainsi s'est constitué un climat dans lequel se sont plus tard développées les institutions de la démocratie politique. Ces institutions ont leur réalité et leur légende. Selon la légende, la démocratie est un régime où tout le monde gouverne, par procuration. En fait, c'est le gouvernement de la masse par quelques-uns, une « aristocratie » élue, d'après la terminologie aristotélicienne. Cette réalité est souvent obscurcie par l'hypothèse que chaque individu constitue un tout doué d'une volonté potentielle unique, exprimée par la représentation du peuple, laquelle peut alors se personnifier par un individu plutôt que par une assemblée. Les démocraties stables évitent cependant une fiction dangereuse et reconnaissent l'existence d'une fonction gouvernementale exercée par un ensemble d'organismes spécialisés, chargés des intérêts communs, tandis qu'on prête aux intérêts de chacun l'attention qu'ils méritent. Ces organismes sont censés élaborer la meilleure politique possible dans des conditions sociales données. Leur action est si bien concertée qu'ils
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