Le Contrat Social - anno III - n. 1 - gennaio 1959

M. KARPOVITCH vers de nouveaux «pâturages» et à s'emparer des richesses amassées par d'autres peuples, sédentaires. Il est plus courant toutefois de se référer au fameux « messianisme » russe. On doit reconnaître que pour leurs affirmations relatives au messianisme,_ les écrivains étrangers peuvent trouver un appui dans les déclarations de penseurs russes, depuis les slavophiles jusqu'à Berdiaev inclus. Cela ne les rend pourtant pas particulièrement convaincantes. Ces références ne prouvent rien d'autre que l'existence de courants messianiques dans la pensée russe. Mais le messianisme n'a pas existé en Russie seulement. Tout au long de l'histoire universelle, des temps bibliques à l'époque contemporaine, on peut en trouver beaucoup d'exemples, en différents pays et à différentes époques. Ceux qui voient dans le messianisme l'impulsion séculaire de l'expansion russe ont à prouver non la présence de courants messianiques en Russie, mais leur prédominance dans de larges milieux du peuple russe. Or il est impossible de le prouver en s'appuyant sur les faits historiques. Si l'idée de la troisième Rome n'a pas été un facteur actif dans la politique étrangère de l'État moscovite, on est encore moins fondé à affirmer qu'elle ait pénétré dans les masses populaires. Le folklore russe connaît la « sainte Russie» mais ignore « Moscou troisième· Rome». Le peuple russe garde la mémoire de Tsargrad, mais sans y lier aucune aspiration politique. Aucune raison 11epermet de supposer qu'il ait jamais songé à l'héritage «byzantin ». Parfois, par exemple à l'époque de la crise balkanique des années 1870, un certain sentiment de communauté avec les « frères slaves » de même sang et de même foi religieuse s'éveillait dans le peuple, mais de là il y a encore loin à· une acceptation du panslavisme comme doctrine ou programme politique. De l'existence en Russie d'un panslavisme populaire il ne saurait être question. D'ailleurs les courants messianiques ne furent jamais dominants non plus dans la société russe cultivée. Rappelons l'aveu amer du slavophile Aksakov disant que dans l'intelligentsia provinciale de l'époque de Nicolas 1er, il avait rencontré d'ardents admirateurs de l'occidentaliste Bielinski, mais personne qui partageât ses idées à lui. Le célèbre livre de Danilevski, cette «Bible du panslavisme » comme a dit quelqu'un, eut un succès éphémère pendant le règne d'Alexandre III, mai~ au début du xxe siècle il était déjà passablement oublié. A cette époque, le panslavisme était devenu l'apanage presque exclusif de certains f._Oupes nationalistes de droite et n'éveillait pas d intérêt particulier dans les larges milieux de l'intelligentsia. Même la flambée de sympathies slaves pendant la guerre balkanique de 1912 ne lui valut pas de propagation tant soit peu marquée. Non seulement le messianisme et le panslavisme, mais l'impérialisme en général sont restés étrangen à la majorité de l'élite instruite russe des temps modernes. Si, au xv111e si~cle et dans Biblioteca Gino Bianco • 13 le premier quart du XIX8 , la fierté devant les succès de la politique étrangère de l'État et la gloire des armes russes a été un trait caractéristique de beaucoup d'éminents représentants de la culture nationale, si Pouchkine a pu être à la fois le « chantre de l'empire et de la liberté» (G. P. Fédotov dixit), après Pouchkine ce sentiment est allé sans cesse décroissant pour céder la place à l'indifférence. Malgré les détracteurs de l'intelligentsia, cela ne signifiait nullement un affaiblissement de son sentiment national et de son patriotisme. Avec Lermontov, elle aurait pu dire que son amour de la patrie ne se nourrit Ni de la gloire achetée au prix du sang, Ni d'une paix pleine d'une orgueilleuse confiance, Ni des chères légendes d'un lointain passé ... On peut expliquer et juger différemment cette absence de « conscience impériale », mais le fait ne saurait être nié. Comment ne pas rester songeur en voyant, par exemple, que dans la littérature historique russe il n'existe pas un seul ouvrage de quelque importance consacré à l'histoire de la création et du développement de l'Empire ? L'historiographie russe n'a ni son Seeley ni son Treitschke, de même que dans les belles-lettres russes on ne trouvera ni un Kipling ni un D'Annunzio et parmi les apôtres russes du nationalisme ne serait-ce qu'un seul écrivain de la taille d'un Barrès ou d'un Maurras. Il est également fort significatif qu'on n'ait pu créer en Russie un courant libéral nationaliste. Les tentatives faites dans ce sens par P. B. Struve et le prince G. N. Troubetzkoï sont restées à vrai dire sans écho. 6 Parmi les libéraux russes, on appelle parfois impérialiste P. N. Milioukov, mais tout son impérialisme a consisté à ne pas avoir voulu renoncer aux « droits » russes sur Constantinople et les Détroits, garantis à la Russie par un traité avec ses alliés occidentaux. Peu de gens së souviennent que le même Milioukov, lors de la crise précédant la guerre, en été 1914, insistait pour la localisation du conflit austro-serbe et se résignait à voir la Serbie livrée à son sort, pourvu qu'une guerre générale fût évitée. Mais même l'impérialisme modéré de Milioukov ne fut pas de saison aux premiers mois de la révolution, quand l'opinion et le peuple russes devinrent les maîtres de la situation. A tort verrait-on ·dans le programme soviétique de paix sans annexions ni indemnités une « invention révolutionnaire» 7 : il avait ses racines dans le pacifisme et l'anti-impérialisme prérévolutionnaires de l'intelligentsia russe. Et le fait que ce mot d'ordre ait trouvé un si ardent écho dans 6. Le livre de ce dernier, la Rrusie comm, grand, puissarac,, retint beaucoup plus l'attention en Allemagne qu' n Russie où il passa presque inaperçu. 7. Notons à ce propos que pendant qu lque t mp le pr~aident Wilson, qui n'~t lt certc pa un r~volutionnaire, ut le meme pro rammt .

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