M. KARPOVITCH t;ajnes périodes de l'histoire russe d'avant la révolution. Il ne s'agit évidemment pas de chiffres absolus, mais de ce qu'était la force de la Russie par rapport à celle des autres grandes puissances. Ni sous Pierre, ni sous Catherine, ni sous Alexandre 1er, la Russie n'était un État faible au point de vue militaire. Une autre explication serait mieux fondée : elle consiste à invoquer la situation internationale exceptionnellement favorable qui s'était créée pour le pouvoir soviétique à la fin de la dernière guerre mondiale. Toute destruction de l'équilibre de forces établi et tout effondrement de formations politiques offrent une tentation d'expansion et le chaos quasi général que la dernière guerre a laissé derrière elle dépassait de beaucoup ce qui avait eu lieu après n'importe laquelle des guerres précédentes, du moins dans l'histoire moderne. Et cela signifie que des possibilités s'étaient ouvertes devant Staline qu'aucun empereur russe n'a jamais eues. Néanmoins cette circonstance ne peut expliquer complètement le dynamisme de la politique soviétique. La différence entre les deux politiques a un caractère non de degré, mais de nature. La politique russe d'autrefois n'était pas à l'échelle planétaire ni même continentale, non seulement parce que la diplomatie russe de ce temps avait les mains liées par la nécessité de compter avec des rivaux assez forts, mais encore - et surtout - parce qu'à la différence de la diplomatie soviétique, elle ne se donnait aucune ambition planétaire. Et cela parce qu'elle n'avait aucun plan politique universel derrière lequel il y eût une idée générale, à la façon dont le concept de révolution mondiale inspire le plan soviétique universel. 1 Cette affirmation diverge de la théorie relative au « messianisme » qui serait propre au peuple russe, théorie ressuscitée de nos jours. Laissons de côté pour l'instant la question du peuple pour nous en tenir à celle du messianisme dans la - politique de l'État russe. En quoi voit-on d'habitude une manifestation de ce messianisme ? Avant tout, dans la fameuse doctrine de « Moscou troisième Rome». Bien des malentendus se sont accumulés à ce sujet. L'idée d'une troisième Rome est née dans des milieux ecclésiastiques, sur le terrain religieux, elle a joué un rôle actif et pratique dans l'élaboration de l'originalité et de l'indépendance nationales de l'Église orthodoxe. Jusqu'à un certain point, elle est entrée dans l'idéologie de l'absolutisme russe. Mais aucun historien n'a encore pu prouver qu'elle ait exercé une influence quelconque sur la politique étrangère de l'État moscovite. Le gouvernement moscovite non seulement ne fit jamais valoir ses droits sur l' « héritage byzantin », comme il le fit pour l'héritage de « Vladimir » ou de 1. Bn l'e1p~ce, il e1t indiffircnt que l'id~c de r~volution mondiale toit encore vivante ou non, dans son interpr~tation ptemil!re,ou qu'elle ait ~,=~r~ en pr~tentionde domination totalitaire mondiale devenue un but en soi. Biblioteca Gino Bianco 9 « Kiev », mais il le refusa toujours obstinément, même quand les puissances occidentales, pour leurs raisons propres, cherchaient à tenter Moscou avec cet héritage. Les diplomates moscovites étaient assez réalistes pour juger irréalisable, le rêve d'une troisième Rome. De la troisième Rome on saute d'habitude au panslavisme du XIXe siècle, et là encore on attribue à ce mouvement sporadique, non organisé, une importance qu'il n'a jamais eue en réalité. Dans la plupart des cas, le panslavisme demeura un « état d'esprit» alimenté à diverses sources idéologiques dont beaucoup n'avaient de rapport ni avec l'idée religieuse, ni avec la troisième Rome, ni même avec l'historiosophie romantique du slavophilisme primitif. A différents moments, on a pu. remarquer des panslavistes dans les milieux diplomatiques, militaires ou de la Cour, mais jamais le panslavisme ne fut une doctrine officielle du gouvernement, ni au XIXe siècle, ni plus tard. Même au plus fort de l'agitation panslaviste, à l'époque de la crise balkanique des années 1870, le gouvernement non seulement ne s'identifia pas avec le panslavisme, mais au contraire s'en désolidarisa et parfois en réprima certaines manifestations (comme dans le cas d'lvan Aksakov, ·après le congrès de Berlin). On sait aussi que Nicolas 1er désapprouvait le panslavisme. Affirmer que la Russie impériale aspirait à l'hégémonie européenne est tout aussi mal fondé. Quoi qu'on puisse penser de la Sainte-Allianct!> on ne doit pas oublier que, dans l'esprit d' Alexandre 1er, il ne s'agissait pas d'hégémonie russe en Europe, mais d'une entente solide et durable entre grandes nations. Bien plus, cette idée ne j.oua pas dans les événements qui suivirent de rôle plus grand que, de nos jours, celui qui est dévolu à la Charte de l'Atlantique. Tout ce que l'on attribue abusivement à la Sainte-Alliance était en réalité une politique d'alliance à quatre et, plus tard, à cinq avec la France, dans laquelle la Russie fut loin de jouer toujours le premier rôle. On exagère de même le rôle de l'idéologie dans la politique étrangère de Nicolas 1er, quand celui-ci est représenté comme un Don Quichotte de l'idée monarchiste réactionnaire, toujours prêt ·à se jeter dans la bataille pour combattre la révolution et défendre ses frères les monarques européens. Dans ce portrait, il y a beaucoup de stylisation historique qui omet l'existence de motifs politiques bien précis dans la politique de Nicolas 1er. Comme le disait déjà Nesselrode, en aidant l'Autriche à réprimer le soulèvement hongrois Nicolas pensait avant tout à la Pologne 2 : l'empereur agissait en homme qui aide le voisin à éteindre un incendie par souci de préserver sa propre maison. On a aussi de sérieuses raisons 2. Le pr~sent arti le a ~t~ ~ rit en russe six ns vant l'interv ntion de l'arm~c oviétique ntr la révolution populaire honaroisc de 1956. (N.d.l.R.)
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