Le Contrat Social - anno II - n. 6 - novembre 1958

376 sentiment de la dignité individuelle et un équilibre complexe entre l'esprit ascétique et l'esprit faustien, · sans vouloir limiter l'énumération de ces caractères ni les rassembler en une définition moniste. Analysant les idéologies qui prétendent · donner à l'homme une certitude en son destin, il montre leur incapacité à s'emparer de l'homme entier, intellectuellement ou affectivement, lui laissant un résidu instinctif de liberté. Cette liberté ne peut plus être la conséquence d'une conception optimiste fondée sur la raison comme au XVIIIesiècle; mais elle se révèle parfaitement compatible avec le pessimisme, même outrancier, de notre siècle. L'avenir de la démocratie tient concrètement au résultat du conflit entre le monde libre et le monde totalitaire ; mais sur le plan idéologique l'auteur ne conçoit que deux types : ou une démocratie croyante, se réclamant d'une transcendance· de type religieux, ou une démocratie réaliste de type stoïcien, pessimiste, mais qui exigerait un progrès énorme de la conscience personnelle. Chaque élément de cet ouvrage abonde en jugements subjectifs et suscite la controverse. Son intérêt est évident, sa lecture attachante et vivante par les interprétations qu'elle suggère. Sa publication, parmi d'autres signes, montre que notre temps remet en question des idéaux que l'homme s'était forgés au cours des âges. Quel que soit le degré de permanence de sa nature, c'est selon la manière imprévisible dont notre siècle relèvera le défi posé à son existencequ'on le caractérisera. Seule la chouette de Minerve pourrait dès maintenant répondre aux grandes interrogations qu'inspire la lecture de ces considérations sur l'esprit moderne. M. C. La liquidation du socialisme LEONARDScHAPIRO: Les Bolchéviks et !'Opposition. Originesde l'absolutismecommuniste.Premier stade (1917-1922). Paris, Les Iles d'Or, 1958, 396 pp. CET OUVRAGEdu professeur L. Schapiro, publié en 1954 en Angleterre, fait autorité dans les milieux anglo-américains compétents. Ses qualités justifient la renommée. Au lieu de se livrer à des analyses abstraites du soi-disant léninisme et de ses principes, M. Schapiro a étudié le comportement du bolchévi~ur un plan déterminé : la politique poursuivie par les bolchéviks à l'égard des forces politiques non pas tsaristes ou bourgeoises, mais authentiquement socialistes ou révolutionnaires. Le livre comprend trois parties se succédant chronologiquement : la prise du · pouvoir en octobre 1917, la suppression de l'opposition politique socialiste et révolutionnaire (socialistesrévolutionnaires de gauchè, communistes de gauche, socialistes-révolutionnaires et menché~ Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL viks) ; enfin la création d'un parti monolithique par l'interdiction des fractions et de toute opposition à i'intérieur du parti bolchévik, décidée en 1921, au xe Congrès. A cette évolution vers le totalitarisme, la volonté et les conceptions bolchéviques ont plus contribué que les circonstances' elles-mêmes. Les ??-esures draconiennes prises contre toute ,opp?s!tton ne s'expliquent nullement par les necess1tes de Ia guerre civile (comme on est trop souvent enclin à le penser) ; les menchéviks, représentés aux divers Soviets et résolument hostiles à toute action directe contre le pouvoir de Lénine, de même que les minoritaires du parti comm11n_is~e ont été chassés de tous leurs postes et obliges de se taire précisément après la victoire militaire des bolchéviks. L'étude de M. Schapiro présente d'autre part un intérêt d'actualité immédiate : le léninisme est de nouveau à l'honneur à Moscou, tandis qu'en Occident de nombreux adversaires tardifs du stalinisme s'ingénient à voir dans le soi-disant retour à Lénine une voie ouverte vers la « démocratie socialiste». A cet égard, M. Schapiro offre une documentation et une argumentation décisives sur la politique bolchévique depuis la prise ~u pouvoir jusqu'à la maladie de Lénine. Les f~ts historiques rapportés avec probité par M. Schaprro parlent avec d'autant plus d'évidence qu'ils sont souvent introuvables aujourd'hui dans l'historiographie tendancieuse pratiquée à Moscou. Depuis. que le culte de Lénine remplace celui de Staline, la direction collective se réf ère sans cesse à une date importante : 1921. Le choix est symptomatique : c'est l'année où Lénine anéantit les dernières espérances et les dernières illusions libératrices que la révolution d'Octobre avait pu engendrer. M. Schapiro consacre à juste titre plusieurs chapitres de son livre aux événements de 1921 : révoltes paysannes, étouffées dans le sang; mise au pas des syndicats; premières mesures contre les deux courants d' opposition à l'intérieur du parti bolchévik : l'« Oppo- . sition ouvrière » et le « Centralisme démocratique » ; croissance extraordinaire du secrétariat du Comité central (30 employés en 1919 et déjà 602 en février 1921) et son rôle grandissant démesurément - tous ces faits sont aujourd'hui, soit oubliés en Occident, soit falsifiés en Russie soviétique. Il ne reste même qu'un vague souvenir de Cronstadt, à propos de quoi M. Schapiro remarque : « Nombre d'historiens soviétiques et même quelques autres ont introduit beaucoup de déformations •dans leurs récits concernant la vague de grèves et de manifestations ouvrières · à Pétrograd et l'insurrection des marins et de la population de la base navale de Cronstadt en février 1921. En négligeant la vérité historique, la plupart s'efforcent de démontrer que ces événements étaient inspirés de l'extérieur par les ennemis de l'État soviétique. Aucune preuve ne vient corroborer une telle assertion qu~ rejettent tous les historiens sérieux de cette

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