Le Contrat Social - anno II - n. 6 - novembre 1958

372 tifique. De toute façon les faits ne peuvent rien apprendre_au professeur Friedrich. Il détient déjà la vérité de la démocratie : elle est actuelle et localisée dans les États fédéraux à pouvoirs multiples, car elle est système de freins, elle est division, fragmentation, opposition des pouvoirs. On comprend qu'il parle à tort et à travers et des faits historiques, et des théoriciens du passé, et des faits contemporains. Rien de tout cela n'a au fond d'importance au prix de l'évidence juridique qui est la norme mentale de l'auteur. Cela dit, il n'est pas inutile d'indiquer pourquoi on s'attarde tant sur un si mauvais livre. C'est qu'il est exemplaire. C'est aussi qu'il se présente comme une manière de chef-d' œuvre de la science officielle. Le professeur Friedrich a brillé d'un tel éclat à Harvard que Heidelberg, où il fut élève, l'a voulu pour maître. Et M. Prélot, titulaire de la chaire de science politique à la Facuité de Droit de Paris, ancien président de la Commission du suffrage universel de l'Assemblée nationale, était anxieux de voir ce livre - l' « œuvre maîtresse» de Friedrich - devenir, dans notre langue, la bible de nos jeunes étudiants. Voilà donc un ouvrage que recommandent trois des plus célèbres_11niversitésde l'Occident. 11 n'était pas inutile de le juger. Le seul aspect consolant de l'affaire, c'est que la traduction défend très solidement l'approche de ce livre. Le style de M. Friedrich est très vraisemblablement plat, Les traducteurs se sont mis à cinq pour le rendre illisible. 11 est vrai que leur besogne devait être assez ingrate pour oblitérer en eux le sens de leur propre langue. Cela n'explique pourtant pas pourquoi ils ont laissé passer tant d'absurdités sur la France - car lorsque le professeur Friedrich parle de notre pays, · c'est en toute ignorance de cause - et pourquoi aucun d'eux n'a pensé que les allusions · à des faits anglo-saxons seraient imperméables au public français. A la vérité, ces allusions leur ont échappé à eux-mêmes (l'un d'eux traduit par un adjectif le nom d'un comté écossais). Mais surtout, ni le professeur Prélot ni euxmêmes n'ont pensé que la science politique ne repose pas sur des principes et des allusions historiques, mais sur des faits minutieusement analysés, contrôlés, discutés et interprétés. YVES LÉVY Statistique et oo.lÎectivisation dans le monde communiste NAUM J ASNY : The Soviet 1956 Statistical Handbook : A Commentary. Londres, Angus & Robertson, et East Lansing, Mich., The Michigan State University Press, 1957, x-212 pp. ·APRÈS un « black-out » de près de vingt ans, le gouvernement soviétique autorisa de nouveau la publication de recueils statistiques. En 1956 Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL parut enfin /'Économie nation,alede l'URSS, et plusieurs autres recueils (l'Economie nationale de l'URSS au coursde l'année 1956; les Progrès du pouvoir soviétique depuis 40 ans en chiffres ; l'industrie soviétique; le Commercesoviétique, etc.) sortirent depuis. Cependant l'utilisation des statistiques publiées à présent pose des problèmes extraordinairement ardus. Aussi des statisticiens familiarisés avec les affaires soviétiques s'efforcentils de tirer au clair telle ou telle gamme de données au moyen d'études monographiques. _Na11m _Jasny, que l'on peut considérer dans ce domaine comme le plus grand expert actuel, s'est assigné une tâche autrement ambitieuse : il dépouille et soumet à une analyse critique tout le manuel de 1956, chapitre par chapitre et souvent même page par page. Il n'est, pour se faire une idée de l'énorme travail accompli par l'auteur, que de lire le chapitre II, exposant les caractéristiques générales du manuel. Il a relevé quatorze omissions majeures (dont des données aussi élémentaires que la répartition de la population d'après l'âge et le sexe, la consommation de divers produits par la population, les indices des prix des biens d'équipement, etc.). Et cette liste ne mentionne pas les cas où les chiffres publiés sont inutilisables avant d'avoir fait l'objet de calculs compliqués (dans les statistiques de la main-d' œuvre, par exemple, les salariés employés dans l' « économie forestière » ont été additionnés · aux paysans kolkhoziens). Mais en plus des omissions, l'auteur a constaté bien d'autres défauts du recueil : sélection arbitraire des données, ambiguïtés, statistiques délibérément faussées. En analysant cette 4ocumentation officielle, N. Jasny s'est appliqué à confronter les chiffres qui figurent dans les rubriques différentes, ainsi que ceux que lui-même et d'autres statisticiens avaient rassemblé pendant des années en compulsant diverses publications soviétiques ; à dépister les procédés par lesquels les uns et les autres avaient été falsifiés ; à refaire les calculs des pourcentages pour obtenir des chiffres absolus et vice versa.,· à estimer les changements survenus au cours de telle année ou de telle autre pow: ramener différentes séries statistiques à la même année de référence ; enfin, à rendre commensurables les chiffres qui ne l'étaient pas. Il a en outre inséré quelques chapitres où sont reproduits et analysés les chiffres trouvés ailleurs, pour combler les lacunes les plus importantes du recueil (la valeur de la production industrielle brute, les, salaires nominaux, les terres agricoles autres que les superficies ensemencées, etc.). L'importance de ce travail ressort déjà, nous semble-t-il, de ce qui précède. Tout chercheur désireux d'utiliser les chiffres officiels d'une manière objective devra désormais consulter en premier lieu le livre de Jasny. Et cela s'applique non seulement aux données publiées dans le recueil de 1956, qui fait l'objet de son analyse, mais en même temps à celles que l'on trouve

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