Le Contrat Social - anno II - n. 5 - settembre 1958

QUELQUES LIVRES Compagnonnage ABELBOYER: Le Tour deFranced'un Compagnon du devoir. Préface de DANIEL HALÉVY.Illustrations de RICHARDDESVA-LLIÈREPSa.ris, Imprimerie du Compagnonnage, 1957, 254 pp. RAOULVERGEZ: La pendule à Salomon, roman. Paris, Julliard, 1957, 344 pp. ON N'IGNOREplus tout à fait, même dans le grand public, que le compagnonnage a pris, durant la guerre, un nouveau départ : de temps à autre, les journaux consacrent quelques clichés aux pittoresques cortèges des compagnons. Mais combien peu savent, même parmi les familiers de l'histoire ouvrière, que le mouvement « compagnonnique » n'avait pas entièrement disparu dès les dernières années de l'autre siècle et que la chaîne qui relie les « cayennes » d'aujourd'hui à leurs devancières de l'Ancien Régime et du Moyen Age n'avait jamais été rompue ? Avec la vitalité présente du compagnonnage, cette continuité vivante se révèle dans deux livres récents, dus à la plume de compagnons. Abel Boyer, dit Périgord-Cœur-Loyal, compagnon maréchal-ferrant du Devoir - ces noms sonnent comme des titres de noblesse - fit son tour de France de 1899 à 1903 et, une fois son «temps» accompli dans la cavalerie à Saumur, • • • , • A reprit ses acttv1tes compagnonruques en meme temps que son métier, à Paris cette fois. Or, la société des compagnons maréchaux - leur Devoir, pour user de l'admirable appellation « compagnonnique » - demeurait alors bien vivante. Elle entretenait toujours le culte du beau travail, du travail qui a en lui-même sa valeur et sa récompense parce qu'il témoigne de la science de l'ouvrier et de sa conscience. « C'est là, dit à un endroit Boyer, que j'ai pour la première fois exécuté mes premiers fers à bords renversés, travail que je considère comme l'une des plus grandes difficultés du métier, et qui n'a d'autre but que de les vaincre » (p. 111). Les résonances cornéliennes de cette fin de phrase témoignent de la grandeur à laquelle s'élevaient encore la morale des compagnons, l'héroïsme du travail qu'ils professent toujours. Et ce n'était pas auprès de petits groupes, mais sur de larges ensembles que le compagnonnage conservait une audience : vers 1906, en un temps où « la traction mécanique n'avait pas encore détrôné le cheval ni les fers mécaniques les bons forgeurs » (p. 212), sur les 4.000 ouvriers maréchaux que comptaient Paris et sa banlieue, plus de la moitié appartenaient ou avaient appartenu au Devoir. Certes, la société était menacée. Elle l'était du dedans car c'était assurément un signe de décadence que le peu de souci des conditions de vie et de salaire témoigné si l'on en croit Boyer, par la majeurepartie des patrons, ( même lorsqu'ils étaient eux-mêmes des compagnons),aux Biblioteca Gino Bianco 313 jeunes ouvriers qui accomplissaient leur tour de France. Elle l'était de l'extérieur aussi par le concurrence du syndicalisme qui jeta sur ella la suspicion. Au dire des syndicalistes, « le compagnonnage ne pouvait soutenir les revendications », et pourtant, non seulement « les compagnons bien organisés, bien encadrés, avaient su pendant de longues années établir entre les ouvriers et les maîtres des contrats que leur discipline savait faire respecter en interdisant les ateliers réfractaires », mais il savaient, quand il le fallait, user de la grève : dans celle de 191o-191 1 « qui plaça la corporation par ses conquêtes au rang des plus privilégiées ... , la société se comporta avec honneur... Sur trois mille grévistes, il y avait deux mille compagnons » (pp. 213 et 235). A la vérité, bien que Boyer cherchât à associer compagnonnage et syndicalisme, « là où leurs intérêts se confondaient, tout en conservant leur autonomie particulière » (p. 213), il sentait si bien leur incompatibilité prof onde (au temps du moins où le syndicalisme propageait, lui aussi, une morale) que, pressenti à la suite de la grève pour prendre le secrétariat du syndicat, il s'abstint de se rendre à la réunion au cours de laquelle il devait être élu. A cette concurrence redoutable, le compagnonnage eût sans doute résisté mieux qu'il ne l'a fait, du moins dans les corporations où il demeurait puissant, comme chez les maréchaux-ferrants, si l'évolution technique n'avait transformé les conditions du travail et, dans ce cas précis, fait disparaître, ou presque, la profession elle-même. Comme il le rapporta à Daniel Halévy (qui déjà en 1914 publiait la deuxième édition des Mémoires d'un Compagnon d' Agricol Perdiguier), Boyer devint, à son retour du front, les chevaux ayant alors très vite disparu, « maréchal attitré des cirques parisiens » (p. 15). • IL FAUTen vouloir un peu à Raoul Vergez - qui, lui aussi, signe fièrement à la manière « compagnonnique » : Béarnais, l'Ami du Tour de France, compagnon charpentier des Devoirs du Tour de France - d'avoir écrit un roman, que l'on devine largement autobiographique, plutôt que ses mémoires, car le lecteur, presque à cl1aque pas, hésite, boude son plaisir, et se demande si ce qu'il lit est relation fidèle de la vie des compagnons d'aujourd'hui et d'autrefois ou transposition poétique, voire pure imagination de romancier. Deux générations de compagnons déroulent ici leur histoire, incarnée dans un charpentier béarnais et dans son fils. Le premier fit son Tour de France entre les deux guerre , car « même aux heures les plus favorables de l'expansionnisme syndical, qui porta des millier de travailleurs vers les orgarusations de « mas e >, à la fin du x1xe siècle et jusqu'à la guerre de 1940, quelques centaines de « Devoirants » surent maintenir la

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