Anniversaize ITINÉRAIRE INTELLECTUEL par Maxitne Leroy Un an a passé depuis la mort de notre regretté collaborateur et ami Maxime Leroy. Il nous importe à cette date du 15 septembre d'évoquer une mémoire qui nous est chère entre toutes. Le président de notre Institut d' Histoire Sociale avait laissé, dans ses papiers inédits, quelques pages de souvenirs d'enfance et de jeunesse où son itinéraire intellectuel est tracé à grandes lignes : nous ne saurions mieux faire que de les publier en cette circonstance. Elles font connaître la formation de Maxime Leroy à son point de départ et aident à comprendre l'état d'esprit d'une élite qui a marqué de son influence la première moitié du vingtième siècle français. D'OU VIENS-JE ? COMMENT NAIT-ON à la vie de l'esprit ? C'est là un mystère que je cherche en vain à percer, pour connaître sinon le jour, du moins les années de ma naissance intellectuelle ; je puis seulement indiquer dans quelles conditions est née ma curiosité. Enfant un peu abandonné - un père malade, une mère fantasque, indisciplinée - je suis resté des journées entières, seul, dans l'appartement de mes parents; ils n'y étaient pas; j'y logeai seul, vers treize ou quatorze ans · déjà, dormant sur le canapé de mon père, enveloppé dans sa robe de chambre, sans couverture ni oreiller. J'ai pris là de bonnes habitudes de simplicité; je sais faire mon ménage, s'il le faut; je sais descendre m'acheter des légumes, du pain ou des œufs. Dans ce cabinet de travail très simple où il y avait deux grands fauteuils Louis XIII, les livres régnaient doucement sur le mur du fond. Je suis devenu leur sujet, leur administré, leur prisonnier. Je les ai maniés, feuilletés ; je ne sais si, jeune, je les ai lus ; je m'imagine que je les ai lus ; puis-je en être sûr ? J'ai rêvé en regardant les lignes .noires, de page en page. Une fenêtre donnait sur une avenue paisible ; en Biblioteca Gino Bianco ce temps-là, tout était paisible ; et cette avenue, toute proche de Levallois-Perret, dans une région ~leine de terrains ~b~donnés, s~n~ait sa pr~vmce ; on se · connaissait entre vo1s1ns. Parmi ces livres, il y avait Proudhon et SaintSimon. Je les ai ouverts ; et tout de même j'en ai regardé plus que les lignes ·noires des pages ; des mots ont frappé mes yeux et plus ou moins inconsci~mment pénétré dans mon jeune esprit, solitaire et curieux. Lamennais a lu Rousseau à dix ans ! Voilà quels ont été, le dimanche et les jours de fête où j'avais quitté le lycée, mes compagnons; ils ne faisaient pas ·de bruit; ils n'étaient cependarrt pas silencieux. Leur nom, c'était déjà . , . un enseignement, une emotton, un mouvement. En ces temps lointains, dans les années 80, Proudhon n'était qu'un monstre et Saint-Simon qu'un fou ; Sainte-Beuve, un renégat ; on ne parlait presque pas d'eux ; j'ai donc accédé à eux avec une virginité d'âme toute juvénile, avec confiance ; je ne savais pas qu'ils étaient maudits et méprisés ; je ne savais peut-être pas qu'ils avaient été grands, à un moment, des animateurs, des. excitateurs. C'est là que j'ai appris qu'il y
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==