LES TROIS PROGRAMMES COMMUNISTES YOUGOSLAVES par Branko Lazitch LE COMMUNISME règne sur un bon tiers de l'humanité, mais il n'a plus ni idéologues, ni programme. Aux anciens théoriciens du marxisme, tels que Boukharine, Préobrajenski, Riazanov, ont succédé les Souslov, Pospélov et autres Ponomarev qui n'ont écrit jusqu'à maintenant aucun livre ni émis la moindre pensée originale dans leurs articles et discours (ce qui n'empêche pas les journalistes occidentaux de les considérer comme d'éminents « théoriciens du marxisme»). Quant au programme, il y aura dans quelques mois vingt ans que le parti bolchévik se propose d'en rédiger un. En 1939, à l'issue du XVIIIe Congrès, une commission spéciale fut formée à cet effet, mais la plupart de ses membres furent victimes de la fureur stalinienne. Au congrès suivant - après un intervalle de treize ans - une nouvelle commission du programme fut nommée. Staline qui la présidait mourut quelques mois plus tard et la grande majorité de ses membres disparut dans de nombreuses épurations post-staliniennes. Actuellement, une troisième commission du programme travaille en URSS. Dans le PC français une commission est prête à démarquer le programme soviétique ... qui n'existe pas encore. Si les communistes russes se sont avérés incapables de rédiger un programme en vingt ans, les communistes yougoslaves détiennent un record dans le sens inverse : depuis la rupture entre Tito et le Kominform, en 1948, les communistes yougoslaves ont composé trois programmes successifs et contradictoires, présentés aux trois derniers congrès du Parti : en 1948, en 1952 et en 1958. Le premier programme, publié au lendemain de la résolution du Kominform, le 28 juin 1948, insistaitsur l'«attachementindéfectible à l'Union 10viétiquc » ; pourse poseren fid~lcs 1taliniens 1 Biblioteca Gino Bianc0 en dépit de l'anathème du maître du Kremlin, les co1nmunistes yougoslaves reprirent simplement les lieux communs du stalinisme. Le deuxième programme, présenté à l'état d'ébauche en 1952, tranchait sur le programme précédent, comme le souligna le rapporteur Milovan Djilas : Personne n'a aboli ce programme, mais la lutte que nous menons l'a écrasé, en même temps que toutes les illusions révolutionnaires que nous avions sur l'URSS, sur ses chefs, sur sa théorie et sa pratique de l'édification du socialisme. Cette fois, non seulement Djilas, mais aussi Tito et I(ardelj, nièrent tout caractère socialiste à l'Union soviétique, qualifiant son régime de capitalisme d'État et de totalitarisme dominé par une bureaucratie pratiquant une politique extérieure agressive et menaçante pour la paix mondiale et l'indépendance des pays de l'Europe orientale. Le troisième programme, édité prudemment sous le titre de « Projet », fut publié dans le courant de mars 1958. Il ne ressemblait en rien aux deux précédents et ses rédacteurs ne soufflèrent mot des deux expériences antérieures. Les positions cc idéologiques » de Tito A l'occasion de la dernière polémique soviétoyougoslave, de nombreux commentateurs insistèrent notamment sur la fermeté des positions idéologiques de Tito, inchangées, disent-ils, depuis la rupture avec le Kominf orm. En réalité, la lecture des trois programmes, rédigés au nom du marxisme-léninisme et du socialisme scientifique, prouve que les thèses titistes oscillèrent d'un extrême à l'autre sur les points essentiels avec une rapidité propr non pas aux idéologueset théoriciens cherchant la •
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